Conférence de Lionel Zinsou
Le 12 décembre 2013, CCI Nantes Saint Nazaire
On peut dire que les pays africains, en pleine croissance économique depuis 15 ans, et soutenus par une démographie dynamique sont entrés de plain-pied dans leurs « 30 glorieuses ». Les pays émergents ne s’y sont pas trompé, ils ont massivement investi sur ce continent quand les pays européens ont continué à regarder leurs anciennes colonies de façon condescendante.
Si la France a perdu des parts de marchés dans des secteurs clé, il n’est cependant pas trop tard pour programmer un nouveau type de rencontre. Les Africains intègrent de plus en plus le mieux disant social dans leur appel d’offres et les entreprises françaises, en pointe sur la dimension RSE ont leur carte à jouer.
L’attente est forte pour qu’une diplomatie économique se mette en place et nombre d’entreprises sont invitées à regarder vers ce continent. Des opportunités économiques importantes sont à saisir dans les secteurs des besoins de proximité : agro-alimentaire, matériaux de construction, commerce, télécom, pharmacie.
Présentation de Lionel Zinsou
Président de la société de capital-investissement PAI Partners – un portefeuille assez international avec 17 entreprises dont quelques-unes en région Pays de la Loire : Yoplait, BN, Kiloutou, Kaufman and broad – 200 000 salariés – 20 milliards de chiffre d’affaires.
Pourquoi le continent africain est-il un vrai marché d’avenir pour les acteurs économiques du territoire ?
Une forte croissance
L’Afrique connait de façon régulière depuis 15 ans, et de façon homogène, une augmentation de +5% de son PIB (relativement sous estimé puisque le secteur informel n’est pas comptabilisé)
Cette croissance a été découplée de la conjoncture européenne puisque l’Afrique n’est pas entrée en récession en 2009
Le continent africain exporte deux fois plus qu’il y a 20 ans
Six pays africains connaissent une croissance à deux chiffres
Un continent désendetté et financé
Les pays sont passés de 130% à 30% d’endettement du PIB, et le désendettement est plus efficace que l’aide au développement
Si les investissements directs étrangers ont massivement augmenté, les pays africains commencent aussi à investir sur eux-mêmes
L’Afrique accumule des réserves : on compte 500 milliards de réserves de change (face à 50 milliards d’aide au développement !…) et environ 450 milliards de dollars de fonds de pension dans les caisses (sauf en Afrique francophone où le modèle est calqué sur la France)
La première forme d’accumulation de capital passe par le foncier, qui commence à prendre des valeurs très importantes
Une démographie dynamique
1 milliard d’habitants aujourd’hui, 2 milliards en 2050. Le Nigéria seul compte aujourd’hui 180 millions d’habitants.
D’un côté, la durée de vie augmente, de l’autre la mortalité infantile baisse avec toujours 5 enfants par femme (excepté dans les capitales où on tombe maintenant à 2 enfants par femme)
il y a donc une dynamique par accélération naturelle
On compte beaucoup d’actifs et peu de retraités ce qui génère un surplus structurel de l’épargne.
Une réserve de terres arables
C’est le seul continent sur la planète où il reste une part importante de terres arables
Pourquoi une nouvelle rencontre est à programmer avec l’Afrique ?
L’Europe a jusqu’ici regardé l’Afrique comme si la croissance avait une durée peu probable et en se focalisant sur le cours des matières premières. Or, les BRIC n’ont pas fait ces erreurs de jugement, ils ont développé les échanges et les investissements. On ne juge pas l’économie d’un pays par ce qui arrive dans les ports : les matières premières ne représentent que 25% du PIB, les 75% sont constitués de consommation et formation de capital par les entreprises, les ménages, les administrations…
Il y a une grande attente de France en Afrique, mais il faut un mode d’emploi sur la façon d’aborder le marché africain et sur les façons d’investir. On ne doit plus porter ce regard condescendant qui a marqué la période de colonisation et décolonisation, Il faut rompre avec « l’Empire »
Recul des parts de marché au profit de la Chine
La France ne représente plus que 11% de parts de marché, entre deux et trois fois moins qu’il y a 20 ans.
Sur la même période, la Chine est passée de 1% à 15%, devenant le premier partenaire commercial.
Les BRIC, la Turquie, la Corée et la Malaisie deviennent également des partenaires importants. Il ne faudrait pas que la France se réveille trop tard.
Illustration avec le marché de l’automobile : c’est aujourd’hui l’Indien TATA est en passe de dominer le marché, détrônant Peugeot, ancien partenaire privilégié. Pour les Telecom et les équipements la France perd également des parts de marché vis-à-vis de la Chine.
Un contexte pourtant porteur
Les BRIC sont très actifs en échanges et en investissements (extraction des matières premières) mais globalement, ils ont peu contribué à l’emploi, ce qui entraine un rejet massif de la part des populations locales.
L’un des atouts de la France est que les entreprises les plus récentes sur le territoire ont une crédibilité, car elles respectent les normes sociales (RSE) et elles sont dirigées par des cadres africains. Les cahiers des charges intègrent maintenant le mieux disant en matière sociale et la France est donc bien placée par rapport à la Chine.
La France a en place des investissements majeurs (Total, Alsthom, Bollore, Castel, France Telecom) qui constituent un stock de capital important.
La nouvelle politique française doit admettre l’intérêt économique, il y a une diplomatie économique à mettre en place.
Les besoins sont essentiellement des besoins de proximité: Industrie Agro-Alimentaire, matériaux de construction, pharmacie, télécom, commerce, transport
L’Afrique change, la France aussi : il y a donc une rencontre à programmer !
Comment aborder le marché africain?
L’AFD soutient le secteur privé, avec des garanties sur investissement, elle assure le risque politique pour inciter les entreprises à s’installer sur le continent.
Pour l’IAA c’est plus facile d’exporter quelque-soit le produit car la demande est forte, y créer des filières d’approvisionnement est d’intérêt général, elles sont incontournables
Pour les matériaux de construction on est dans les mêmes priorités
La croissance ne résoud pas tout. Il y a deux paradoxes : il y a de plus en plus de pauvres mais globalement de moins en moins de pauvreté : si l’exode rural est important, il y a aussi de plus en plus de gens dans les campagnes, ce qui entraine des problèmes de foncier, d’eau d’écosystème, d’environnement…
Les pauvres aujourd’hui n’ont pas le même profil que les pauvres aux lendemains de la décolonisation : ils sont plus éduqués et plus urbains, ce qui entraine plus de violence, de délinquance et plus de revendications politiques.
Prendre en compte les contextes nationaux
Pour les PME on conseille plutôt d’aller dans des pays qui sont des Etats de droit, c’est plus facile. Si on veut aller au Nigéria il vaut mieux s’appeler Unilever !
Le Kenya, Tanzanie, Ouganda vont à toute vitesse en terme de croissance, ce sont des marchés porteurs, mais il ne faut pas ne pas y aller seul.
C’est un continent varié, donc diversifier ses risques c’est mieux !
Le nord de l’Afrique a 10 ans d’avance sur le reste du continent. L’autre Afrique est en retard mais elle s’industrialise assez vite.
Il faut noter qu’en Tunisie, il n’y a pas eu un jour de grève chez le sous traitant d’Airbus pendant le printemps arabe. Et si on arrive à maintenir l’emploi en France dans le secteur aéronautique, c’est parce que les pièces détachées sont produites à bas prix à Tunis pour Airbus.
Installer Renault à Tanger est aussi une bonne décision.
Il faut aussi voir que ce sont des pays qui ne sont pas isolés : ils sont dans une union économique et monétaire, la zone UEMOA : c’est un marché qui s’étend du Nigéria à la Cote d’Ivoire en passant par le Ghana
partenariat public/privé
La coopération économique, ce n’est pas juste une discussion entre Etats. Les associations, fondations et collectivités territoriales devraient être invitées aux réflexions. Les fondations sont particulièrement efficaces. Exemple : la fondation Gates a quand même réussi sur le continent à transformer le SIDA de maladie mortelle à maladie chronique.
Les Etats souverains c’est bien, mais la société civile avec le secteur privé c’est fondamental.
Enfin, à travers la coopération décentralisée, la gouvernance est meilleure, il y a moins de pertes en ligne quand les élus sont en prise directe avec les citoyens, les effets sont immédiats dans des pays qui se sont de plus en plus démocratiques
Conclusion :
C’est le moment d’investir sur le continent africain, car « les 30 glorieuses sont devant nous », la dynamique va durer car c’est le continent le plus jeune et à la croissance la plus forte. Mais comme les pays africains sont compliqués à gouverner du fait de leur démographie, il faut savoir que les 30 glorieuses ne vont pas être un long fleuve tranquille !
La France peut se donner comme objectif de doubler ses échanges en 5 ans,
Accélérer la croissance africaine, c’est aussi accélerer la croissance française !