Pour une véritable politique africaine à Nantes

Changer le regard des Nantais, et au-delà de la France et de l’Europe sur l’Afrique

 

paru dans la Tribune Libre #48 (PDF, 2.81 Mo)
Octobre 2012

Auteur : Maurice BERTHIAU

 

Avec l’ouverture au public du Mémorial à l’Abolition de l’Esclavage, vient s’ajouter un élément complémentaire à la visibilité nantaise dans sa relation avec les populations d’origine africaine.

Cet article a pour but dans un premier temps d’expliciter l’importance pour Nantes de conforter sa position historique sur l’Atlantique, puis dans un second temps de proposer des pistes de réflexion sur les moyens à mettre en œuvre.

L’importance pour Nantes de conforter sa position historique

L’Afrique, un continent qui s’éveille :

« Cinquante ans après les indépendances africaines de 1960, l’Europe, et notamment la France, ne peut plus penser sa relation à l’Afrique comme elle le faisait encore il y a dix ans. Avec une croissance supérieure à 6 % depuis 2000 – encore près de 3 % en 2009 malgré la crise – et un milliard d’habitants, ce continent présente un exceptionnel potentiel de croissance et est entré de plain-pied dans la mondialisation.

L’Afrique a besoin de l’Europe pour se développer et libérer toute sa croissance. Mais ce n’est plus le mode de l’assistance qui doit prévaloir, au risque de voir les élites africaines se détourner complètement de notre continent pour lui préférer les nouveaux modèles que sont les pays émergents (Chine, Inde ou encore Brésil). L’Europe n’est plus dans la situation où elle avait une croissance plus forte que les États qu’elle devait aider.

L’Afrique est un atout : notre relation à cette partie du monde, proche à la fois dans l’espace et dans la culture, doit être regardée comme une opportunité de croissance. Seule zone au monde où la France présente une balance commerciale excédentaire, le continent africain est celui où notre pays a accumulé le plus grand stock de capital. C’est une chance que donne la mondialisation : deux continents complémentaires, qui se connaissent bien et qui sont proches, doivent au même moment trouver deux nouveaux modèles économiques. »

Cet extrait d’un rapport de l’Institut Montaigne « Réinventer le co-développement », en juin 2010 donne le ton. Après les propos de Lionel Zinsou qui a présidé les travaux de l’Institut Montaigne voici ceux de Jean Michel Severino, ex-directeur de l’Agence Française de Développement « Les relations d’amitié existent quand les intérêts convergent. Mon but a été de montrer aux Français que le temps de leurs intérêts en Afrique s’est réveillé. Ce continent comptera deux milliards d’habitants en 2050. Si l’histoire balance du mauvais côté, c’est un risque migratoire important pour l’Europe voisine. Si l’histoire penche du bon côté, ce sera une opportunité pour la France. »
C’est en Afrique que se trouvent aujourd’hui les marges de croissance qui manquent à l’Europe.

Avec l’arrivée au pouvoir de nouvelles générations qui ont pour modèles la Chine ou le Brésil, avec des flux financiers dus aux migrants très importants, la croissance économique de l’Afrique est réelle, même si elle ne suffit pas encore à éradiquer totalement la pauvreté.

Les populations d’origine africaine sur le continent américain :

Selon l’estimation officielle de 2005, environ 39,9 millions d’Afro-Américains vivent aux États-Unis soit 12,9 % de la population totale. Avec plus de deux millions de résidents noirs, New York a la plus importante population noire urbaine des États-Unis.

Au début du XXIe siècle les États-Unis sont le quatrième pays où il y a le plus de Noirs (en incluant les métis) après le Nigeria, le Congo démocratique et le Brésil.

En Amérique latine et dans les Caraïbes plus de 30 % de la population est d’origine indigène ou africaine. Une prise de conscience de leurs problèmes spécifiques et une recherche forte de leur identité en ont fait depuis les années 80 de nouveaux acteurs politiques forts.

En effet, depuis les années 1980, deux pays ont attiré toute l’attention des chercheurs sur le multiculturalisme en Amérique Latine: le Brésil et la Colombie. Ces états sont comme des laboratoires du multiculturalisme, qui expérimentent des changements sociaux et politiques d’envergure au cours du 20ème siècle. Plus récemment, en s’inspirant de ces modèles, d’autres pays Latino-Américains comme l’Équateur, ont commencé à mettre en place des mesures pour une intégration plus poussée et l’accès aux ressources et aux services (comme la terre, l’éducation et les emplois). D’autres, comme la Bolivie, ont même introduit des changements encore plus radicaux.

Le statut social de la diaspora des Afro-descendants est une question centrale dans le débat politique, dans un contexte de racisme et de discrimination persistants et de questions de métissage interracial, de multiculturalisme et d’identité.

Outre cette reconnaissance politique, ces populations sont en recherche de leur identité et même si la majeure partie d’entre elles font partie des classes les plus défavorisées, une minorité de plus en plus forte dispose d’un pouvoir d’achat important.

 Une histoire nantaise riche avec l’Afrique :

De par son histoire, Nantes a des liens très forts avec l’Afrique. Il y a bien sûr la période de la traite, mais les relations ont perduré bien au-delà en particulier lors de la période coloniale, avec la filière bois, avec les relations universitaires privilégiées.

A titre d’exemple, le Grand Blottereau, construit vers 1740 par le directeur de la Compagnie des Indes, fut racheté à la fin du XIXe siècle par Thomas Dobrée. Celui fit d’Hippolyte Durand-Gasselin son légataire. Durand-Gasselin crée une serre tropicale sous la responsabilité de la chaire d’agronomie coloniale de l’École supérieure de commerce de Nantes. En 1905, il fait don à la Ville de Nantes du château, moyennant l’obligation d’y créer un jardin exotique et un musée colonial. C’est là que viennent se reposer lors de leur séjour en France les gouverneurs de Madagascar, de l’Afrique Equatoriale et de l’Afrique Occidentale Françaises. Une partie des collections de ce musée colonial se retrouve dans le fonds de l’actuel musée d’histoire de Nantes au Château des Ducs.
L’implantation à Nantes des services du Ministère des Affaires Étrangères et en particulier de l’État Civil des Français nés à l’étranger participe à ces liens.

Ces trois facteurs militent pour que Nantes puisse axer une partie de son développement sur l’Afrique et les populations d’origine africaine. Dans la lutte marketing des métropoles européennes pour trouver des facteurs différenciant, Nantes dispose ici d’un argument fort.

Les pistes d’action

Les outils d’une politique africaine sont déjà majoritairement en place, que ce soit avec les éléments structurels que sont l’Institut d’Études Avancées, le Musée d’Histoire de la Ville de Nantes, les collections botaniques du Muséum d’Histoire Naturelle et du SEVE, le Ministère des Affaires Etrangères, et maintenant le Mémorial ou avec des éléments immatériels que sont les diasporas plus ou moins organisées, le Festival des Trois Continents, le Forum International des Droits de l’Homme et le réseau de coopérations décentralisées de la Ville de Nantes.

Il serait nécessaire de donner à tout cet ensemble, la cohérence et la visibilité qui lui permettront de faire sens autour d’une vision partagée de Nantes, place majeure en Europe d’une politique de co-développement avec l’Afrique et partenaire privilégié des acteurs africains qu’ils soient artistes, politiques ou acteurs économiques.
Pour cela, il faut travailler à changer le regard des Nantais, et au-delà de la France et de l’Europe sur l’Afrique, selon trois axes très complémentaires que sont :

– l’animation culturelle,
– les relations économiques
– le positionnement politique et intellectuel de Nantes.

L’animation culturelle :

Deux volets, l’un institutionnel, l’autre associatif, pourraient être développés.

Sur le plan institutionnel, le groupe Nantes Afrique Caraïbes, initié par Octave Cestor, conseiller municipal officiellement en charge des relations Nantes Afrique Caraïbes qui réunit un premier cercle d’acteurs tels que le Musée des Beaux Arts, le Muséum d’Histoire Naturelle, le réseau de lecture publique, le Château des Ducs de Bretagne, permet ainsi des échanges et la mise en évidence de synergies. Ce groupe vient de s’ouvrir à de nouveaux membres avec l’Université, l’IEA et le Secrétariat International Permanent Droits de l’Homme et Gouvernements Locaux. Il intégrera certainement à terme le Voyage à Nantes et la Cité Internationale des Congrès.

Sur le plan associatif, l’expérience de la Casa Africa, tentative de regroupement des diasporas autour d’une association fédératrice, devra certainement être revue dans sa gouvernance, mais elle constitue un premier pas. Elle devrait beaucoup plus devenir un collectif d’associations, à l’image de la Maison des Citoyens du Monde, plutôt que le porteur de projets propres. A terme, ce collectif pourrait devenir le gestionnaire d’un espace « Centre Culturel Africain » construit sur le modèle du centre Louis Delgrès dédié aux communautés ultramarines et qui offre aux nantais un programme d’activités variées.

Le développement économique :

Le marché africain doit être mieux connu des entrepreneurs nantais. Pour cela, l’initiative du For-Eco Afrique Loire de créer un centre de ressources et de mettre périodiquement en relation des entrepreneurs africains avec leurs homologues ligériens doit être reprise et professionnalisée. Un travail avec les professionnels de l’action économique de Nantes Métropole avec la CCI et la Région est nécessaire pour compléter cette action associative qui peine à trouver la bonne dimension. La piste du monde afro-américain devra également être explorée et associée à ces initiatives. Il y a là des potentiels de financements importants pour les porteurs de projets.

Le politique :

Les actions déjà lancées autour du Secrétariat International Permanent Droits de l’Homme et Gouvernements Locaux, de l’Alliance Internationale des Villes pour le Devoir de Mémoire et le Développement et de l’Institut d’Etudes Avancées doivent être capitalisées et mises en valeur.

Un travail de lobbying avec la Cité des Congrès en lien avec l’Université et le Ministère des Affaires Étrangères pourrait être lancé pour attirer à Nantes des rencontres universitaires et des conférences avec des responsables africains ou d’origine africaine. Nantes pourrait ainsi reprendre sa place de ville phare pour les élites africaines. C’est à Nantes que pourrait se construire l’utopie africaine, par des rencontres d’intellectuels, de responsables politiques de tous niveaux se mêlant avec des artistes pour inventer le XXIe siècle.