Par Thierry PATRICE
Dès le soir du 7 janvier j’ai refusé de participer à la collectivisation de l’émotion, non par absence d’empathie, certes non, mais parce que je ne suis pas et que nous ne sommes pas innocents.
Qu’un organe de presse soit visé est épouvantable mais n’a rien d’étonnant. Il a l’importance stratégique de la presse, pourtant globalement sous contrôle financier, en France. C’est vieux comme l’imprimerie ou radio-caroline, mais ce n’est pas la liberté d’expression qui est visée, c’est la liberté d’expression d’une des deux parties en conflit.
Qu’un supermarché fréquenté par des citoyens de confession juive soit attaqué est aussi épouvantable mais n’est pas étonnant non plus : cela fait des siècles que cela dure. L’Édit de Milan date de 311, instaurant officiellement la religion chrétienne à Rome, mais dès 306 un juif ne peut avoir un employé chrétien et en 399 un pape interdit les mariages entre chrétiens et juifs. Et puis il y a eu les pogroms sans noms et sans nombre à l’Est, la Shoah et le Veld’hiv. Des révoltes palestiniennes et arabes meurtrières se produisaient contre l’occupant mandataire britannique de 1920 à 1948 alors que la déclaration Balfour de 1917 préconisant la création d’Israël n’avait jamais été suivie d’effets. Il y a bien là guerre d’indépendance en sus du problème territorial posé par l’apparition d’Israël en Mai 1948.
Pétrole et guerre
Le peu d’enthousiasme anglais pour Israël, qui se manifeste par l’affaire de l’Exodus en 1947 et par la persistance à exercer le mandat sur la Palestine est lié à l’importance de l’or noir depuis la révolution industrielle du 19eme siècle. Ceci explique l’œcuménisme anglo-saxon qui créée la Légion arabe, « al-Jaysh al’Arabi », de 1923 à 1956, une Légion juive qui a combattu dès 1915 aux côtés des alliés (les anglais se sont opposés à son maintien au-delà de 1919) et en 1944 une Brigade Juive refondée, nécessité obligeant Churchill. Le pétrole fait rouler les tanks conquérants des champs pétrolifères et sert à fabriquer de l’électricité. Sans pétrole pas de première ni de seconde guerre mondiale, ni de guerre froide. La British Petroleum (BP) est issue de l’Anglo-Persian Oil Company (1909) et l’Aramco (Arabian American Oil Company) issue de Esso et de Saudi Arabian Oil Company date de 1933. La guerre froide, associée à la guerre commerciale pour les gisements, a largement déstabilisé la région : l’URSS soutient les partis Baas (1947) en Syrie et Irak, quand les USA soutiennent Israël, « coin » occidental, historiquement légitime, enfoncé en plein milieu de l’Islam tout en protégeant les émirats. Les USA ont fomenté un coup d’Etat contre Mossadegh, démocrate progressiste qui avait nationalisé l’industrie pétrolière iranienne (opération Ajax de la CIA en 1953). Ben Laden est aussi une création occidentale, visant à empêcher les Russes en Afghanistan, voire à aider à prendre pied sur les marches de la Russie. Les bénéfices de ces brillantes opérations nous sont connus.
Gros sous et géopolitique
Tapons sur Google® « Ressources énergétiques proche et moyen orient » et ensuite « maps » puis faisons la même chose pour « Conflits proche et moyen orient » et comme par magie nous voyons les deux se superposer… y compris pour ce qui concerne le pourtour méditerranéen et la zone saharienne. Ce qui nous est présenté comme une affaire de culture ou de religion est une affaire de gros sous, qu’on appelle la géopolitique. Qui va contrôler les ressources énergétiques, qui nous sont dîtes se raréfiant donc se renchérissant, et donc contrôler la bande s’étendant de l’Afghanistan au Mali puis par extension vers le sud, le reste de l’Afrique, décolonisée n’importe comment, est ce qui, je crois, motive les attentats de Paris, sans pour autant que le commanditaire soit clairement identifié. Qui paye ? Qui ordonne ? Qui peut dire…
Il est en tout cas plus facile de motiver les troupes avec une idéologie immanente qu’avec la perspective de remplir les comptes en banque de quelques-uns. Il en va ainsi de toutes les guerres. C’est vrai à la fois pour la foi et ce qui nous tient lieu de foi.
La France a un lourd passé minier et colonial en Afrique du nord et en Afrique noire. Ce n’est pas un hasard si elle a 8500 soldats projetés dans ces régions, ni si elle a contribué à l’instabilité du sud de la méditerranée qui n’en demandait pas tant.
Livrer des armes c’est choisir son camp
La France s’est désormais associée, via l’Europe, aux USA dans le projet transatlantique initialement négocié entre Bush, un pétrolier texan, et Schröder, membre du directoire du groupe pétrolier russo-britannique TNK-BP, qui a aussi pour objectif d’instaurer une pax americana sur le pourtour de la méditerranée. La France, produit enfin des armes, du fusil au Mistral (LHD) en passant par le Rafale, dont on ne peut prétendre qu’elles sont inoffensives parce que pétries de bonnes intentions démocratiques et surtout les vend au gré de ses alliances économiques, parfois aussi volatiles que le pétrole raffiné.
Le marché cumulé des producteurs d’armes européens atteindrait 27% du marché global. Or livrer des armes revient à choisir son camp, ce qui implique 50% de risques de se tromper. La France utilise aussi les armes qu’elle produit. Or ces armes ne sont pas moins toxiques que celles des autres : seul le tireur change. Si on veut réduire les risques de riposte, ce que sont aussi les attentats de Paris, il faut aussi limiter les interventions.
Issu du salafisme Sunnite, le Wahhabisme, est né en 1750, donc nullement fondateur de l’Islam, dans le but pour Ibn Saoud (1710 – 1765) de construire l’Arabie Saoudite, dont il est la religion officielle. Le Sunnisme représente 90% des musulmans et le Chiisme 90% des iraniens. La différence entre les deux réside dans la dimension politique. Dans le Chiisme la parole ne peut être issue que d’un descendant choisi d’Ali le messager du prophète, une sorte de droit divin, alors que dans le sunnisme c’est une assemblée informelle représentant les différents et nombreux courants qui interprète le texte écrit. Il se trouve que l’Islam s’étend vers l’est au Pakistan, capitale Karachi, où il nous arrive de marchander et au nord à la Russie qu’il nous arrive de défier quand on ne marchande pas.
Le prix du chaos
Clausewitz (1780-1831) est le stratège des guerres modernes : celui qui est le plus motivé, qui a donc le moins à perdre, gagne, celui qui a le front le plus étroit et des réserves flanquées gagne, celui qui déstabilise l’autre par les actions les plus en profondeur, gagne. Attirer l’adversaire loin de ses bases pour l’enliser au fond du canyon est assez classique de John Wayne. Il serait bon de considérer le résultat de la non-observance de ces règles: Afghanistan, Iran, Lybie, Irak, Palestine et Israël, Syrie, Mali, Centrafrique, Nigéria, Soudan, la liste n’est pas close, lieux d’interventions occidentales sont dans un état de chaos indescriptible. C’est le prix de ce chaos et le refus de payer les ressources proportionnellement à ce qu’elles nous rapportent, qui sont aussi responsables des morts de Paris. S’imaginer qu’il va suffire de quelques conseillers au sol en Irak, de voter l’achat de drones et de rétablir petit à petit la conscription me semble une plaisanterie dangereuse à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie de politique intérieure ce qu’évidemment je ne peux croire.
Comment s’étonner !
Le premier ministre parle désormais d’apartheid. L’IK avait publié Education et Culture, en 2009 et abordé ce thème. S’il ne s’agit pas d’une ségrégation rationalisée, les « quartiers » ne sont pas les plus rupins de la cité. L’école y a été remplacée par les trafics, la république par les communautés, le travail plus qu’ailleurs par l’échec. Pourtant il faut bien vivre ou survivre par tout moyen, illégal quand il n’existe pas d’autre solution pertinente. La situation est donc mieux connue que les solutions. Mais quand le chômage augmente, que la croissance stagne, et que les richesses sont de plus en plus captées comment s’étonner et comment remédier ? Enlever au petit matin les épaves des véhicules incendiés de la nuit, des années durant, pour éviter la contagion ne me parait pas très efficace. Là encore les raisons économiques de l’immigration massive ne nous indemnisent pas.
Alors le 11 janvier 2015, j’ai marché tristement, battant seul la campagne face à l’inutilité de la souffrance et à la méchanceté de l’humain. Le paradis est irrémédiablement perdu, sans rédemption possible.