Article Tribune Libre #59 par Jean-Jacques DERRIEN

Charlie s’est enfui

Le Vendredi 27 février 2015, le journal Ouest-France titrait en 1ère page sur l’annulation des Rencontres du dessin de presse qui devaient être organisées pour la 5ème fois à la mi-avril par le Mémorial de Caen.

Une telle annonce valait sans aucun doute une forte publicité et pas seulement par sa localisation dans l’un des départements couverts par le premier quotidien de France. Tous les médias français allaient également s’en faire l’écho.

Son directeur estimait que « dans le climat actuel, il ne pouvait assurer la sécurité des dessinateurs, des salariés et du public » et cela même si, l’a-t-il rappelé, la préfecture était prête à mettre tous les moyens nécessaires. Apparemment il ne s’agirait que d’un report.

Le Vendredi 27 Mars 2015, un mois s’est écoulé depuis cette annonce noyée au milieu de plusieurs autres d’annulation de festivals, ou de spectacles par crainte et auto-censure depuis les attentats de janvier. Mais ceci s’inscrit aussi dans le prolongement depuis dix-quinze ans d’une montée des interdits de la part des artistes et des institutions sur les thèmes du sexe, du corps, de la politique, de la religion et parfois même de
l’économie.

Alerte pour les démocrates

Il ne s’agit pas bien entendu d’incriminer la décision d’un homme qui a du prendre ses responsabilités de façon assez solitaire mais plutôt de considérer que cela constitue une alerte pour les démocrates. La réponse doit être collective et solidaire. Les formes restent bien sûr à inventer pour garantir la protection des personnes.

Certains, comme le chanteur Abd Al Malik, estiment que « la liberté d’expression est un principe mais qu’elle n’est pas non négociable » et d’autres comme l’historien des religions et dominicain François Boespflug, invoquent le « bon sens », Jean-Marie Le Pen parlait lui de « bon goût » sur France-Inter le 17 mars 2015, justifiant que « pour vivre ensemble, il allait falloir introduire une prudence citoyenne et s’appliquer une autocensure pacifique ». Il n’en est que plus essentiel de s’interroger sur notre rôle citoyen partout là où nous sommes. Il nous parait en effet préférable d’ élargir à toute forme d’expression ce que disait Jean-Claude Izzo, auteur regretté de polar marseillais et poète ( oh l’exquise saveur des mélanges), pour qui la poésie était « l’expression d’une révolte contre le risque qu’on se satisfasse toujours de moins, et qu’un jour, on se satisfasse de tout en croyant que c’est le bonheur avant de finir enfin égaux dans l’indifférence ».

Relancer les RIDEP !

L’Institut Kervégan participe aux réflexions qui font notre société et construisent notre territoire. C’est en ce sens qu’il est soucieux d’interpeler les acteurs de notre métropole pour réfléchir à la possibilité de redémarrer l’organisation d’un événement comme l’étaient les Rencontres Internationales du Dessin de Presse (Ridep) qui se déroulaient à Carquefou et qui ont dû être suspendues en 2015 pour des raisons de rapport coût/fréquentation.

Ces questions sont en effet suffisamment fondamentales pour ne pas considérer que c’est l’affaire des autres. L’Histoire a montré que les petits renoncements font dans certains contextes le lit de torrents beaucoup plus tumultueux charriant la boue de l’intolérance pour emporter et balayer toute expression d’humanité. Et dans ces cas là il est souvent vain et alors encore plus dangereux de penser que le temps passant, la tension diminuera.

Jean-Jacques DERRIEN

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