L’Institut Kervégan et les Sciences Po Alumni Ouest Atlantique se sont intéressés aux développements récents des sciences comportementales et plus particulièrement au «Nudge».
Le « Nudge »… mais que signifie ce mot anglais ? S’il devait être résumé en une phrase, il serait qualifié de « coup de pouce » pour inciter à prendre la bonne décision et adopter les bons comportements sans contrainte et en douceur. Ce fût le thème de la conférence du 23 janvier dernier à la Maison de l’avocat. Le public est venu nombreux pour comprendre les enjeux d’un sujet qui semble répondre aux grands défis à surmonter pour notre société.
Les Nudges utilisés dans les politiques publiques peuvent-ils apporter une solution aux tensions observées entre les citoyens et la puissance publique ou aux problématiques environnementales ? Nous savons qu’ils sont utilisés depuis longtemps dans le marketing ou à des fins commerciales, souvent à la limite de l’éthique et de la manipulation. Cette conférence propose d’explorer les ressorts du Nudge à travers les sciences comportementales et les biais cognitifs qui en résultent.
C’est en 2008, avec le prix Nobel d’économie délivré à Richard Taler et Cass Sunstein que le Nudge est révélé au monde. Ces deux économistes concrétisent leur concept dans le livre « Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision ».
Le Nudge permet de trouver d’autres réponses que les lois, les règles, les injonctions ou les sanctions. Il agit sur l’architecture du choix et génère des questions liées à la manipulation dans l’incitation. Lorsqu’il s’agit d’influencer des comportements, interviennent alors des enjeux liés à l’éthique : le libre arbitre existe-il vraiment ?
Quatre experts ont permis de décrypter les ressorts du Nudge en abordant les points suivants : la fabrique et les nuances du Nudge, puis ses domaines d’application dans les politiques publiques et le design.
La fabrique du Nudge
Marc Rigolot, Directeur de la fondation MAIF, dont le travail consiste à mener des recherches scientifiques autour de la prévention des risques, a présenté une multitude d’exemples de Nudges utilisés dans des domaines très divers. L’observation de leurs effets sur nos prises de décisions et l’analyse des biais cognitifs dont ils dépendent a permis de mieux comprendre le cerveau humain mais aussi de voir comment les Nudges agissent sur l’architecture du choix.
Marc Rigolot fait le constat que la parole publique généraliste et globale est peut être moins audible qu’autrefois. Il constate que les politiques de prévention sont de moins en moins efficaces. C’est en cherchant du côté des sciences sociales, ignorées pendant longtemps, qu’il est possible de répondre aujourd’hui. L’utilisation des sciences comportementales et des neurosciences permet de mieux comprendre le cerveau humain qui ne fonctionne pas toujours d’une manière rationnelle. Nos choix peuvent être influencés par des biais cognitifs générés par la partie la moins rationnelle du cerceau : une partie rapide, automatique qui agit d’une manière directe et sans effort. C’est cette partie que l’individu utilise le plus souvent, à son insu, la plupart du temps. Les Nudges sont créés à partir de ces biais cognitifs comme leviers d’action et d’influence des choix des personnes ciblées.
La liste des biais cognitifs est longue, Marc Rigolot donne l’exemple de certain biais les plus utilisés par le Nudge. Ces biais cognitifs se basent sur la logique, sur des éléments de contexte d’ordre sociétal : la saillance, la comparaison sociale, l’égo, la proportionnalité, la mémoire, les émotions en utilisant les odeurs par exemple ou encore l’aversion au risque et à la perte. Ce dernier biais est très puissant et souvent utilisé à des fins commerciales. Son principe : le poids de la perte potentielle est plus important que le poids du gain prévu. L’exemple du black Friday est caractéristique : la peur de passer à côté de la bonne affaire donc de perdre déclenche ainsi l’acte d’achat même si inutile. L’amorçage est également un biais cognitif intéressant et très utilisé. Il s’agit de jouer sur l’ordre, l’architecture d’un élément à mettre en avant pour provoquer des réactions différentes. Les messages qui touchent à l’émotion sont souvent les plus efficaces. La comparaison sociale compte parmi les biais les plus utilisés. Par exemple, comment inciter les personnes à diminuer leur consommation de climatisation ? C’est en utilisant l’argument : « vos voisins le font déjà depuis longtemps… » que l’on constate de meilleurs résultats. Autre exemple, la saillance. En utilisant des éléments de communication simples et visibles. Des signalétiques fonctionnant par associations d’idées peuvent s’avérer très productives, par exemple pour fluidifier des trajets (covoiturage) ou favoriser des gestes éco-responsables.
Bons Nudges contre mauvais Nudges ?
L’étude des biais cognitifs montre que l’Homme est fragile et manipulable. Les leviers sont nombreux et difficiles à maitriser. Le Nudge peut être très puissant et utilisé à des fins plus ou moins vertueuses. Nous le connaissons le plus souvent sous ses formes commerciales et marketing mais depuis peu les politiques publiques s’en sont emparées pour favoriser le lien social et plus globalement une évolution positive de la société.
Aujourd’hui, force est de constater que les Nudges, bons ou mauvais sont partout et ne se remarquent que très rarement. Les personnes n’ont pas conscience d’être manipulées ; c’est peut être cette notion qu’il faut retenir pour distinguer un bon Nudge d’un mauvais. Il est fondamental de pouvoir faire un choix en toute liberté mais aussi en toute conscience des biais cognitifs à l’œuvre dans sa prise de décision. Alors la question du libre arbitre ne se pose plus réellement car l’individu a connaissance des éléments qui sont en jeu.
Nudge et politiques publiques
Essayons de mieux comprendre les sciences comportementales et l’intérêt qui en résulte dans la sphère publique. Camille Rozier, Docteure, est Chef de projet Simplification et Sciences Comportementales, à la Direction interministérielle de la transformation publique. Elle explique que le domaine des sciences comportementales est au croisement de plusieurs disciplines telles que : les sciences cognitives, la psychologie sociale, la psychologie évolutive ou encore l’économie comportementale. Ces domaines permettent de comprendre les mécanismes intentionnels et perceptifs des prises de décisions par l’observation des effets de l’influence du groupe, ou encore en mettant en évidence les différents biais cognitifs à l’œuvre.
L’intérêt d’utiliser les sciences comportementales dans les politiques publiques est très récent. Elles permettent de comprendre et tester le comportement humain, souvent complexe et difficilement prévisible. Quand il s’agit de politique publique, la problématique à traiter relève la plupart du temps du changement de comportement d’une personne dont il faut comprendre les motivations et les ressorts sous-jacents. D’ailleurs une personne habitée par une intention, ne passe pas toujours directement à l’action : elle a un choix à opérer. Ces mécanismes de prises de décisions sont dirigés par le cerveau. Comme expliqué plus haut notre cerveau n’est pas un ordinateur qui calcule les coûts et les bénéfices d’une façon tout à fait rationnelle. De multiples facteurs vont entrer en ligne de compte dans ce passage de l’intention à l’action : les défauts de notre mémoire, les émotions à l’œuvre, les déficits intentionnels, les addictions ou encore la norme sociale. Le besoin de donner du sens à nos actions, la nécessité d’agir vite, sont autant de contraintes qui empêchent l’homme d’être tout à fait rationnel. Le Nudge va s’appuyer sur cette partie non rationnelle et rapide du cerveau aussi appelé système 1 pour favoriser le comportement souhaité.
Stéphan GIRAUD, Responsable du programme sciences comportementales à la Direction interministérielle de la transformation publique présente différents travaux relatifs à des questions de politiques publiques abordés du point de vue des sciences comportementales ; l’objectif du politique dans cette approche étant de rationaliser l’action publique et la dépense publique.
En France, les premières expériences de Nudge dans les politiques publiques remontent à un peu moins d’une dizaine d’années au moment de la dématérialisation des documents administratifs. L’administration fiscale souhaitant convertir le contribuable à des pratiques en ligne, a fait appel aux sciences comportementales pour comprendre et au Nudge pour inciter à passer à l’action. Le résultat est positif et permet d’augmenter le taux de télé-déclarations. D’autres sujets ont été traités, précise Stéphan Giraud, comme la sécurité routière et la question du téléphone portable au volant ou encore l’acceptabilité des médicaments génériques. Les questions environnementales sont également nombreuses mais la majorité des commandes concerne la simplification administrative. Stéphan Giraud fait le constat d’un travail pas toujours facile à mettre en place avec des commanditaires qui pensent souvent que le Nudge est une formule magique. Cependant, « il n’y a pas de catalogue de solutions comportementales toutes faites capable de répondre à leur problématique d’une façon simple ». Les rouages de la construction d’un Nudge sont plus complexes et nécessitent du temps d’étude et d’enquête à travers des dispositifs de terrain au plus près de la population.
Nudge et design : l’influence des comportements dans le design
Ce constat est également partagé par Clémence Montagne, Directrice du Care Design Lab de l’École de design de Nantes. Au sein du pôle de recherches : design et actions publiques innovantes, qu’elle dirige, son approche et la méthode semblent utiliser les mêmes ressorts que le Nudge et les sciences comportementales. Les outils sont proches et les objectifs communs. Il s’agit de mettre en place un dispositif frugal d’orientation des comportements individuels, à savoir créer un dispositif innovant pour faire mieux avec moins. Clémence Montagne précise que le design est une discipline de projets dont l’objectif est de matérialiser l’intention. Il s’agit donc bien de chercher à influencer des comportements. Cette incitation comportementale s’exerce toutefois dans un cadre éthique strict imposé au designer autour de 3 règles fondamentales : être transparent, préserver la liberté de choix et privilégier les intérêts des individus. C’est à travers différents outils comme le design participatif ou le design ethnographique que le designer va pouvoir proposer des innovations provenant de l’expertise de l’usager et faites pour l’usager.
Quels Nudges utiles pour Nantes ?
La conférence se termine sur le résultat des propositions du public mis à contribution afin de soumettre des idées de domaines d’application d’un Nudge à Nantes. Ces propositions serviront de terrain d’exploration à l’Institut Kervégan pour envisager la suite de ses travaux sur ce sujet :
- Améliorer la sécurité à Nantes : inciter à co-piétonner en rentrant de boite de nuit
- Lutter contre les incivilités : courtoisie dans les lieux publics et les transports en commun.
- Inviter les gens à respecter le tri
- Inciter à réduire le volume de déchets produit par foyer
- Inciter à plus de propreté dans l’espace public : déjections canines et dépôts d’ordures sauvages.
- Comment augmenter le vote des jeunes ?
- Comment rendre harmonieuse la coexistence de plusieurs moyens de transport dans l’espace public ?