Interview de Jacques Crochet dans Ecopolitan

Demain le fin du salariat ?

Un article de   pour ECOPOLITAN le  

Président de l’Institut Kervegan, think Tank nantais qui met en débat les problématiques économiques et sociétales de l’Ouest, Jacques Crochet, tout en prônant une plus grande liberté du travail, ne pense pas que la France gagnerait à supprimer le salariat.

La fin du travail salarié est-elle inéluctable?

Non. Je ne pense pas que l’on aille vers un entrepreneuriat généralisé, ni même que cela soit souhaitable, ne serait-ce que parce que le travail indépendant et la création d’entreprise ne conviennent pas à tout le monde.  Aujourd’hui, le modèle français est tout de même celui du contrat de travail. 90 % des Français sont salariés, de manière stable (en CDI) ou plus précaire. Les études montrent que 50 % environ d’entre eux sont satisfaits de leur situation, les autres n’excluant pas de sauter le pas. En réalité, seuls un peu plus de 20 % vont passer à l’acte. Même s’il faut l’encourager, cessons de dire que la création d’entreprise réglera le problème du chômage, que la panacée est toujours d’avoir un statut d’indépendant. Je participe à l’association 60 000 Rebonds,   qui accompagne des chefs d’entreprise qui ont échoué et que l’on contribue à remettre dans le circuit. Or, nous les encourageons souvent à reprendre un emploi salarié car sans doute qu’une certaine sécurité leur convient mieux. Développer l’esprit d’intrapreneuriat, l’envie de créer et d’innover est évidemment une très bonne chose, mais on ne peut pas avoir un pays peuplé seulement de startups. J’ai envie d’un monde dans lequel les jeunes peuvent choisir et il n’est pas sûr, par exemple, qu’il soit souhaitable d’être chef d’entreprise tout de suite après ses études. Etre salarié même quelques mois avant de commencer à créer son activité peut aussi préparer à l’entrepreneuriat.

Mais ne pensez-vous pas que la jeune génération en particulier cherche à avoir plus d’indépendance?  

Certes, mais pas à n’importe quel prix. Il ne faut pas qu’au prétexte de favoriser l’autonomie, ou pour répondre à ce désir, on supprime toute protection. L' »ubérisation » en est un exemple… quand je vois des jeunes livreurs à vélo dans les rues, exploités jusqu’à la corde, et qui souhaitaient surtout un début d’autonomie, je me dis qu’on est allé beaucoup trop loin.  A vrai dire, moi-même, à travers mon histoire personnelle et mon vécu de chef d’entreprise*, je suis un peu entre deux positions, entre une vision libérale de l’entreprise et la conviction qu’il faut mettre des garde-fous solides pour protéger des abus.

Mais existe-t-il une forme de liberté et d’autonomie possibles dans le cadre du salariat?

On pourrait dire que les jeunes des générations Y et Z sont en train, à l’intérieur du cadre du contrat de travail, d’inventer de nouvelles règles implicites, qui n’appartiennent qu’à eux, et qui s’affranchissent en quelque sorte de certaines contraintes « traditionnelles ». C’est une nouvelle manière d’aborder et de vivre le travail salarié, qui met souvent mal à l’aise les managers. Si une réunion est prévue le soir, par exemple, il faut prévenir à l’avance car ils risquent « d’avoir piscine ». Ils peuvent arriver à 10 heures du matin car la veille ils se sont couchés tard… Ils sont très sensibles à l’équilibre vie privée/vie professionnelle, et pourtant, globalement, ne font pas bouger les lignes du contrat de travail traditionnel.

Dans ce cadre-là, ils choisissent à la carte, pas au menu, il faut leur présenter les tâches et les rendre intéressantes. Sinon, ils partent. Mais ils continuent de respecter le contrat : ils rendent le travail, et s’ils quittent l’entreprise, ils effectuent leur préavis quand cela est prévu. Le statut des jeunes en question importe peu finalement. Ils adaptent leurs manières de remplir leur devoir de salarié à leur vision du travail et de l’entreprise.

L’idée du CDI « contrat de mission » convient mieux à cette façon d’aborder le travail, préférable à multiplier les CDD en guise de périodes d’essais… Cela pourra changer l’image du CDI, qui a quasiment valeur de mythe, de gage de statut social, un peu dépassé… De même, le fait de créer des espaces de liberté dans les entreprises, en offrant la possibilité aux salariés d’innover, sans parler de l’entreprise dite « libérée » car je ne pense pas qu’elle puisse l’être totalement, peut s’organiser dans le cadre du contrat de travail classique. Les PME, davantage sans doute que les grandes entreprises, permettent de répondre à ces désirs de plus de liberté dans le travail.

 


* Créateur et dirigeant pendant 18 ans de Capfor Atlantique, société de conseil en management des ressources humaines, à Nantes.