Plus que le procès d’un homme, c’est le procès d’un système. Samedi 19 septembre, Jean-Michel Big Data, répondait de tentative d’homicide volontaire devant la Cour d’assises spéciale de Loire-Atlantique. Sur le banc des parties civiles, Yolande Vie Privée.
Elle s’avance à la barre, frêle, les cheveux en bataille. La voix est fluette, à peine audible dans l’immense salle du Conseil de l’Ordre des Avocats de Nantes, bondée, ou a été délocalisée l’audience de ce procès hors-normes – nombre de faits, anciens de plus de dix ans, sont tombés sous le coup d’une prescription. Yolande Vie Privée a beau être partie civile, c’est elle qui est au centre des débats, bien plus que Jean-Michel Big Data, pétri de tics et recroquevillé dans le box des accusés, à la fois partout et insaisissable.
« Au début tout se passait bien, j’ai même présenté [Monsieur Big Data] à mes amis et à ma famille, glisse innocemment Madame Vie Privée, avant d’ajouter, les mots mangés par l’émotion, au final il m’a complètement anéanti ». Et la plaignante d’égrainer les exemples, de la mise en ligne d’informations personnelles à la publication de photos compromettantes. De quoi « [la] tuer », à terme, accuse t-elle.
« Je ne vole rien ! On me fournit des données ! »
Cependant, au fil des questions précises, du bonhomme président Lambert, les responsabilités de chacun s’obscurcissent. Oui, l’accusé Big Data récolte des données privées mais ce sont ces Messieurs Google, Gmail, Facebook – entendus comme simples témoins assistés lors de l’instruction – qui les utilisent à foison.
Non, Yolande Vie Privée n’est elle-même pas exempte de tout reproche. Après tout, qui pianote, scrolle, clique, poste, et like ? « Je ne vole rien ! On me fournit des données ! Moi, je les range juste dans des petites cases ! », explosera plus tard Jean-Michel Big Data face à la cour.
« Sa bonne foi ne peut être remise cause, comme en atteste l’absence de consentement éclairé », nuance l’experte psychologique, rappelant au passage l’anamnèse de la plaignante : ancienne (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789) et moderne (Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, 1948).
Me Stéphane Baïkof, avocat de la partie civile, complète le raisonnement. 250 heures sont nécessaires pour lire toutes les conditions générales d’utilisation que l’on approuve sur Internet, en une année. 30 minutes rien que pour prendre connaissance des 7200 mots de celles de Facebook.
Vide légal et éthique individuelle
Le retour de service de Me Gréogry Naud, avocat de Jean-Michel Big Data, est brutal : « rendre publique sa vie privée n’est-il pas un moyen de donner du sens à sa vie privée ? ». Les spécialistes appelés à la barre, offrent un éclairage plus crépusculaire. Celui d’une marche en avant implacable de l’utilisation des données. Avec la morale individuelle qui comble le vide légal : « notre éthique ? Ne pas revendre les données ne pas stocker les adresses IP », témoigne Pierre-Yves Huan, associé de la société Data4People.
Dans cette affaire, le rôle des pouvoirs publics est trouble : appelés à être des régulateurs, il sont aussi des collecteurs assidus de données personnelles. Mounir Belhamiti, conseiller municipal et métropolitain écologiste, se défend, en funambule : « si on publie des données c’est parce qu’on croit qu’elles sont utiles à la collectivité ». Au moment de délibérer, un doute raisonnable s’empare des neuf jurés tirés au sort plus les trois magistrats professionnels. Six voix pour, six voix contre, Jean-Michel Big Data est acquitté.
Par Thibault Dumas, journaliste.
Conférence-spectacle avec La Belle Boîte à l’occasion de la Nantes Digital Week