« La ruralité est-elle archaïque ou ringarde ? » Cette question posée dans un article du magazine Métropolitiques1 fin 2014 reflète bien la disposition d’esprit avec laquelle intellectuels et politiques considèrent tout ce qui ne relève pas de l’urbain. Or, il n’y a pas que les grandes métropoles qui évoluent et innovent. La campagne et les aires périurbaines vivent aussi des mutations, perceptibles dans les paysages et les modes de vie mais aussi dans l’évolution des politiques publiques locales. Et il n’y est pas question que de déshérence…
Témoins et acteurs des mutations dans le monde rural, nous proposons un atelier autour de ces questions en s’appuyant sur une double approche : l’observation et la collecte d’innovations qui nourrissent la réflexion, combinée à l’étude des politiques publiques et des acteurs institutionnels.
Des transitions sociétales, des territoires qui bougent
Quelques observations, en prenant l’exemple du territoire du Pays de Redon, nous offrent de premières pistes d’exploration :
Ceux qui vivent en zone rurale le savent : on ne peut vivre à la campagne sans voiture. Ou alors, il faut pouvoir s’appuyer sur les solidarités familiales ou de voisinages… La question des transports et de la mobilité est centrale. Elle conditionne l’accès à l’emploi, mais aussi aux loisirs, et le rapport à la ville (ville centre de la zone rurale ou grande métropole). La voiture, ce n’est pas très « développement durable »… On constate que, ces dernières années, les communes rurales ont aménagé des aires de covoiturages, la plupart d’entre elles étant au quotidien très fréquentées : les pratiques collaboratives visant à répondre aux crises contemporaines ne sont pas qu’un phénomène urbain ! C’est dans cet esprit que des acteurs locaux sont en train d’imaginer un système de « taxi-brousse » pour passagers et marchandises sur le Pays de Redon.
Autre transition investie par des acteurs ruraux : celle de l’énergie. L’association « éolienne en Pays de Vilaine » s’est constituée autour du premier parc éolien de France financé par des citoyens (par le biais de Cigales). Il est localisé sur la commune de Béganne, dans le sud du Morbihan. L’histoire de cette aventure citoyenne permet de voir des solidarités à l’œuvre autour d’acteurs militants, mais aussi les freins, institutionnels et financiers notamment, à l’essor de telles initiatives. De nouveaux parcs sont en train de voir le jour, portés par cette association.
Enfin, l’essor d’une agriculture sans intrant, parfois même sans labour, afin de respecter la vie du sol, est un phénomène encore marginal mais qui prend de l’ampleur et gagne en audience. A ce sujet, il est intéressant de constater que l’introduction de ces nouvelles pratiques, en rupture avec celles de l’agriculture conventionnelle, sont souvent le fait de néo-ruraux, eux-mêmes en phase de rupture avec un mode de vie citadin qui les a déçu, et qui s’impliquent avec ferveur et parfois idéalisme dans un retour à la terre… pas toujours évident. Pour accompagner ces jeunes agriculteurs porteurs d’un nouveau regard, mais pour lesquels l’accès au foncier pose problème, la Communauté de communes du Pays de Redon a acquis 27 ha sur la commune de Théhillac, destinés au bio.
Ce ne sont que trois exemples, mais qui nous semblent révélateurs des mutations à l’œuvre dans un milieu rural qui se peut se sentir parfois oublié ou méprisé.
Des territoires d’innovation institutionnelle
Si la ruralité peut être synonyme d’innovation citoyenne et sociétale, les collectivités territoriales ont, elles aussi été fortement incitées par le législateur à se reformer et à repenser leur avenir à court et moyen terme.
En effet, le relèvement des seuils de l’intercommunalité dans le cadre des lois RCT puis NOTRe les encourageant à la création des communes nouvelles (pour les dotations de compensation), a introduit une réflexion d’ensemble sur le périmètre de l’intercommunalité, sur le bloc de compétences communautaires et communales et plus largement sur les services offerts à la population dans leur ensemble.
Autre exemple de territoire en mutation, le cas du Pays des Mauges illustre l’innovation institutionnelle que la réforme des collectivités territoriales a introduit sur les territoires ruraux et péri-urbains.
Ce territoire de projet a engagé au cours de ces deux dernières décennies une mutation institutionnelle forte en réduisant de manière drastique son nombre de collectivités territoriales, en passant de 39 communes à 6 communes nouvelles, puis de 6 EPCI à une seule communauté de communes. Cette mutation profonde du territoire a été motivée par un double constat, une baisse progressive des dotations de l’Etat et le développement des démarches de mutualisation. Ainsi, pour pouvoir continuer à investir et offrir des services plus efficients à la population, les élus ont été contraints de faire évoluer leur organisation et d’innover en s’appropriant les codes de l’économie collaborative.
Ces changements institutionnels sont aujourd’hui de véritables révolutions pour les territoires ruraux d’autant plus que le rythme de la réforme territoriale ne laisse que très peu de temps aux élus pour faire évoluer leur territoire et penser un véritable projet d’avenir. Cette mutation institutionnelle des collectivités territoriales à marche forcée, dans certains cas, ne concerne pas les territoires urbains et métropolitains. Ces derniers n’ont en effet que très marginalement fait preuve de leur capacité à innover dans leur organisation territoriale.
Les territoires ruraux ont également pu faire preuve d’une capacité d’innovation au cours de ces dernières années afin de répondre à l’ensemble de leurs enjeux : création des maisons de santé pluridisciplinaires, création de logements intergénérationnels, création de tiers lieux et de cantines numériques.
Le monde rural : vivier d’alternatifs ou cité dortoir ?
Si la réforme des collectivités territoriales et notamment la loi NOTRe a été facteur de renouveau pour les collectivités territoriales rurales, la loi MAPTAM, qui conforte le développement des métropoles, ouvre un ensemble d’interrogation quant à l’avenir des territoires ruraux et périurbains et à leur capacité à exister en dehors des métropoles et à construire leur avenir.
Dans le cadre d’une étude prospective sur la France rurale en 2020, la DATAR s’est interrogée sur cette relation ville-campagne, aujourd’hui conflictuelle et qui nous interpelle. Indirectement, il s’agissait pour eux de se poser la question du rôle et de la fonction qui doivent être ceux des territoires ruraux et péri-urbains : une fonction résidentielle (cité dortoir), une fonction production (agriculture, industrie…), une fonction récréative et touristique, ou encore environnementale et de nature (corridor écologique). On peut y ajouter une appréhension du monde rural comme un refuge ou une oasis pour certains groupes de personnes qui se posent en marge du « système ».
La diversité des façons de vivre la ruralité selon les populations résidentes sera sans doute une question que nous serons amenés à nous poser lors de notre atelier.
Alexandra Fresse-Eliazord et Gwenael Boidin