Quelles conséquences ? …« Et si je speak pas anglais ?! »
La présence de l’anglais dans notre quotidien est devenue exponentielle : à la radio, le matin, lors de notre petit déjeuner ; dans les journaux que nous feuilletons avant de partir au travail ou les médias en ligne sur notre ordinateur ou notre tablette ; dans les publicités et l’affichage public ; dans les transports en commun ; à notre bureau et lors de réunions de travail ; sur les emballages de nos aliments ; et le soir, après un repos bien mérité, nous le retrouvons à la télévision dans les spots publicitaires, les émissions musicales, d’information, de distraction, etc…
Des emprunts linguistiques courants…
L’introduction dans une langue de termes, de mots et d’expressions provenant d’une autre langue a toujours existé. C’est l’emprunt linguistique ou lexical. Il fait partie du brassage linguistique et reflète l’histoire des guerres, des invasions, des occupations, de la colonisation mais aussi et entre autres, des échanges culturels, commerciaux, scientifiques, médicaux, gastronomiques entre les pays.
Ainsi, au fil des siècles et des décennies, le français a assimilé les mots allemands comme bretzel et diktat ; arabes comme toubib, bled, cabas, zénith ; hindi comme gourou ; italien comme mozzarella ; japonais comme mikado ; russe ou caucasien comme goulag et mazout ; hébreu comme kipa ; vietnamien comme nem, etc… La liste est longue.
Mais ces emprunts restent ponctuels. Ils font leur apparition dans notre langue, nous en comprenons le sens et la définition, nous les adoptons, nous les utilisons, nous les assimilons puis, de par leur usage fréquent, ils finissent par être validés par l’Académie française.
D’autre part, au cours de l’histoire mondiale, certaines langues se sont imposées dans certains domaines. De cette manière, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le français est devenu la langue de l’aristocratie et des personnes cultivées dans tout le Nord de l’Europe, en Allemagne, en Pologne, en Russie et aussi la langue de la diplomatie. Puis adopté en 1874, dans le but de favoriser le bon développement et la coopération des différents systèmes postaux du monde et à la fin du XIXe siècle comme première langue olympique.
…au flux continu des emprunts anglophones
Aujourd’hui, si tout le monde s’accorde à reconnaître que l’anglais s’est imposé comme langue de l’informatique, des finances et du travail dans certains secteurs, son usage a amplement débordé les frontières de ces domaines et les emprunts en anglais sont innombrables et leur flux continu. Ils sont véhiculés, presque imposés à la population via tous les moyens de communication : la consommation ; le monde du travail ; l’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) ; les médias ; la publicité ; la communication publique et le numérique.
Mais a contrario des emprunts classiques, la population les utilise et les assimile souvent sans en comprendre réellement le sens et sans en connaître bien la définition. Il est important de rappeler que deux tiers des Français ne parlent aucune langue étrangère couramment et n’en possèdent qu’un niveau de base, et que seul un Français sur cinq serait anglophone. Pis, nombre de personnes abandonnent l’usage de termes courants et préexistants au profit de ces nouveaux anglicismes certains se pliant ainsi à une mode, d’autres par crainte d’être considérées comme vieux jeu ou hors du coup.
Et si je speak pas anglais ?!
Hormis les 20 Français sur 100 qui parleraient couramment l’anglais, les 4/5ème restants de la population française ne possèdent pas la maîtrise suffisante pour comprendre une communication réalisée en anglais. Ils en seront alors exclus. Et s’ils en sont la cible commerciale, alors l’émetteur aura commis un non-sens stratégique.
Dans le cas d’une communication publique, destinée à tous les citoyens et administrés, ce non-sens ou cette erreur seront encore plus choquants et absurdes !1
Loi Toubon : David contre Goliath
Cet afflux massif des anglicismes dans notre quotidien a amené, voilà un peu plus de vingt ans, l’Assemblée nationale à adopter la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon. Cette loi vise plusieurs objectifs : l’enrichissement de la langue ; l’obligation d’utiliser la langue française ; la défense du français en tant que langue de la République (article 2 de la Constitution de 1958). Elle vise aussi à assurer la primauté de l’usage de termes francophones traditionnels face aux anglicismes.
Vingt ans après, les cris d’alarme persistent
Deux décennies plus tard, l’Académie française s’alarme encore : «Jugeant que la concurrence de l’anglais, même dans la vie courante, représentait une réelle menace pour le français et que les importations anglo-américaines dans notre lexique devenaient trop massives, les autorités gouvernementales ont été amenées, depuis une trentaine d’années, à compléter le dispositif traditionnel de régulation de la langue.»2
Ainsi que la Secrétaire d’État à la Francophonie qui déclarait en mars dernier «On appauvrit la langue française, et on mutile l’anglais» ou l’académicien et philosophe Michel Serres «La classe dominante n’a jamais parlé la même langue que le peuple. Autrefois ils parlaient latin et nous, on parlait français. Maintenant la classe dominante parle anglais et le français est devenu la langue des pauvres» ou bien même le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui a lancé en 2015 une campagne d’annonces vidéo humoristiques «Dites-le en français » et se bat encore contre les radios privées pour faire respecter les quotas de diffusion des chansons francophones.
Mais il semblerait qu’en vingt ans, la pénétration de l’anglais et des anglicismes dans notre quotidien se soit accrue, imposée plus chaque jour et ait pénétré pratiquement toutes les sphères de communication.
Sylviane Bourgeteau