Un ouvrage de Pierre-Yves GOMEZ paru aux éditions François Bourin
Dans cet ouvrage, Pierre-Yves GOMEZ analyse la financiarisation de l’économie à travers le travail. Il explique que la crise n’est pas le résultat des excès de la finance ou de la dette, mais que le travail, l’économie réelle, ont été escamotés par l’économie financiarisée.
Il décrit la naissance et l’évolution d’une société de « rente généralisée », dont les membres n’ont qu’un idéal : vivre dans une société sans travail, basée uniquement sur les loisirs. Pour lui nous avons depuis trente ans au moins, partagé une grande espérance : l’enrichissement facile, une nouvelle économie permettant de distribuer des revenus sans travailler au plus grand nombre possible, sous forme de retraites, placements, profits ou loyers. Nous avons été tous complices de l’abstraction financière, parce que nombreux étaient ceux qui voulaient vivre de leurs rentes. Il oppose « l’esprit de rente » à « l’esprit de travail », qui inspire notre implication dans l’activité de production, nos revenus dépendant de nos efforts. Il l’oppose également à « l’esprit d’entreprise », qui nous pousse à lancer des projets et à risquer nos revenus dans une aventure économique. « L’esprit de rente » nous incite à dissocier nos revenus des efforts engagés pour les créer. Il s’enracine dans un profond besoin de sécurité, mais aussi d’un fort désir de liberté (ne travailler que quand on le veut !). Cela traduit une manière de considérer le travail comme un fardeau, la vie collective comme une contrainte, et l’autonomie comme le seul état désirable.
Il observe que le temps de travail a diminué fortement dans les trente dernières années, alors que la productivité par emploi et heure de travail a crû de telle manière que nous produisons trois fois plus en travaillant deux fois moins. La différence permet de généraliser le versement de revenus de plus en plus déconnectés du travail. La rente s’est démocratisée : assurance sociale, généralisation des systèmes de retraite… Les revenus du capital sont devenus des revenus de rente. Posséder du capital, c’est souscrire à une rente perpétuelle, si l’entreprise est solide. C’est le cas de la majorité des actionnaires qui n’ont aucune responsabilité dans la gestion de l’entreprise.
La création des fonds de pension, pour gérer le financement des retraites des salariés aux États-Unis et la libéralisation des marchés boursiers, ont réorienté massivement l’épargne des ménages vers les portefeuilles d’actions d’entreprises cotées. Par cette mutualisation du risque, on a déconnecté la rente pour la retraite et le travail.
Le développement de ces véhicules financiers (SICAV, FCP…) a contribué à créer une économie de la rente de masse. Pour servir des rendements suffisants aux actionnaires, les entreprises cotées se sont lancées dans une course aux ressources. Les gestionnaires de l’épargne l’ont orienté vers les entreprises les plus audacieuses, faisant pression sur les dirigeants, et enclenchant une compétition spéculative pour capter les capitaux.
Cette financiarisation de l’économie réelle est la conséquence directe du développement d’une économie de rente de masse. Il affirme que la finance ne s’oppose pas à l’économie réelle, mais qu’elle la dirige. Les fonds de pension ont pris le pouvoir, la valeur ajoutée des entreprises s’étant progressivement orientée vers la rémunération des actionnaires.
L’économie de rente a rendu le travail invisible. Le sens du travail et la place du travailleur ont été complètement occultées. La notion de valeur économique crée par le travail n’apparaît plus. Les indicateurs mesurant l’activité réelle sont réduits à des normes financières destinées à assurer le niveau de profit demandé. La culture financière a colonisé le monde du travail réel. Les managers sont devenus des spécialistes de l’organisation et de la gestion de flux d’informations destinés à transformer le travail réel en ratios et en normes. Cette valorisation de plus en plus faible du travail a produit un déclin tendanciel de la création de valeur économique, et finalement une incapacité à soutenir une croissance durable.
L’auteur, spécialiste du lien entre l’entreprise et la société, veut lutter contre cette évolution, et plaide pour une économie du travail vivant. Il souhaite « définanciariser » l’économie, et recentrer l’entreprise sur le travail réel, cœur de la création de la valeur économique. Il veut sortir le travailleur de l’ombre d’une économie dominée par le profit et la rente, et le remettre au centre de la société, en reconnaissant le sens du travail, sa fonction sociale et économique.
Le rôle du politique sera de préparer l’opinion publique à entendre que la promesse de rente de masse a été surestimée, de la sortir de « cet esprit de rente », et de restaurer la culture du travail comme source de la valeur effective, et élément essentiel des organisations et des solidarités dans notre société.
Par Jacques Crochet