Le numérique, meilleur ami du quotidien, pire ennemi de la vie privée ? À rebours de cette approche binaire, une philosophe (Sonia Bressler), un avocat (Jérôme Dupré) et un entrepreneur (Vincent Tharreau) ont dessiné un paysage tout en nuances de gris. Ce débat s’est tenu à la Maison des Arts de Saint-Herblain dans le cadre de la Nantes Digital Week.
Prudemment, quatre mains se lèvent dans les travées. Quatre, comme le nombre de personnes « déconnectées » sur une auditoire de très précisément 82 personnes. « Il faut avant tout comprendre et définir la donnée [personnelle], c’est-à-dire quelle information on obtient de vous. Sachant que plus on a d’informations sur vous, plus on peut piloter votre comportement », lance, volontiers provocatrice, Sonia Bressler, philosophe et enseignante-chercheuse à l’ISERAM.
Donnée et donner
Avec le numérique, l’individu se retrouve précisément en situation inconfortable mais décisionnaire, complète Jérôme Dupré. « Si l’on donne tout à la machine, ça peut mener à la catastrophe. Si on l’utilise pas du tout, c’est dommageable ».
L’avocat spécialisé en droit du numérique a par exemple travaillé sur le concept de justice « prédictive » – qu’il préfère nommer justice « quantitative ». Bien loin des films d’anticipations, tel « Minority Report » de Steven Spielberg, il s’agit de mettre des chiffres sur l’aléa judiciaire. Utile en droit commercial ou lors d’un divorce, mais en rien une substitution à l’expertise humaine et au tribunal.
La loi et le chiffre
Le cadre légal hexagonal est d’ailleurs limpide, entre les récentes mises à jour du règlement européen sur la protection des données (27 avril 2016) et la fameuse Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – « Il ne faut pas hésiter à la saisir », appuie l’avocat.
Un fondateur de start-up comme Vincent Tharreau peut en témoigner. « Notre intérêt commercial, pour garder nos clients, c’est d’être dans les clous et je pense que 90 % des entreprises françaises en font de même ». Kiplin, propose des challenges ludiques à réaliser en groupe. Chaque détail à son importance avec une application qui mesure l’activité physique : isoler/sécuriser la donnée, laisser le contrôle totale sur celle-ci à l’utilisateur, garantir l’anonymat de chacun, etc.
Une appli et des jeux
« En France, on ne peut pas indexer votre coût d’assurance sur votre comportement individuel », illustre Monsieur Tharreau. La territorialité est cependant forcément aléatoire dans le domaine numérique. D’où l’avertissement de l’avocat Jérôme Dupré : « Quand vos données partent à l’étranger où il n’y a pas de réglementation, c’est terminé ». Dans le domaine assurantiel, les règles sont par exemple très permissives aux États-Uni.
Mais le big data ne serait-elle pas un moyen de gratifier les bons élèves et de sanctionner les mauvais ? 56 % des Français se diraient prêt à troquer données personnelles contre une meilleure offre auprès de l’assureur, selon une étude PwC de 2014.
C’est tout le problème du libre-arbitre et de la pression sociale, soulevé par nombre d’interventions dans le public. « Le consentement éclairé, c’est choisir le moment où je donne ma donnée et dans quel but. Ce qui peut d’ailleurs s’avérer tout à fait gratifiant et positif », conclu Sonia Bressler. À condition de maîtriser l’outil numérique.
Par Thibault Dumas, journaliste.