Retour par Stéphanie Rabaud, directrice de l’Institut Kervégan sur le forum d’Alliance Europa du 9 mai 2016.
Désintégration ou renouveau? La question était posée à quatre grands témoins lors du forum d’Alliance Europa [1], le 9 mai dernier à Nantes. Allions-nous puiser dans leurs propos les bons arguments pour rester confiant en l’avenir du projet européen ? Leur analyse sans concession nous a laissé repartir quelque peu dubitatifs: Comment allons-nous remettre l’Europe en débat?
Autour de Nora Hamadi, journaliste à Public Sénat, trois universitaires ont partagé leur point de vue : Arnauld Leclerc, Professeur de Sciences politiques à l’Université de Nantes, Albrecht Sonntag, Sociologue et Professeur à l’ESSCA École de Management d’Angers et Fernando Guirao, Professeur d’Histoire à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone.
Désintégration ou renouveau ?
Quoiqu’il en soit c’est d’une fracture qu’il s’agit, dans la représentation même du projet européen. Quelle est son origine? Pour Arnauld Leclerc, l’Europe fut d’abord un conglomérat d’action publique sans projet d’ensemble bien construit, l’idée d’union politique a émergé plus tardivement, et la crise économique n’a fait que révéler des tensions existantes. Les trajectoires économiques entre le Nord et le Sud de l’Europe n’ont jamais convergé et elles n’ont pas créé de mécanismes de transfert économique et social. Cette absence de solidarité est un point de tension forte. Face à cela, les Chefs d’États sont dans une posture nationale, et c’est le problème politique majeur. La possibilité d’une désagrégation est réelle. Or, la paix n’est plus un objectif mobilisateur, il faut trouver une autre réponse et remettre l’Europe en débat car il y a désaccord profond sur le projet.
Pour Nora Hamadi, l’Europe est hémiplégique: A la fracture Nord/Sud s’ajoutent aujourd’hui la fracture Est/Ouest, ainsi qu’une fracture entre l’institution et ses propres citoyens. Le corpus des valeurs est passé aux oubliettes, on a un libre-échange et des normes comptables communes mais pas d’entité politique qui piloterait ce grand marché. Les citoyens européens qui ne vivent pas en mobilité n’expérimentent pas l’Europe, ils se détournent d’un projet qui est donc pour eux, vide de sens.
Faut-il craindre le Brexit ?
Fernando Guirao et Albrecht Sonntag sont d’accord pour dire que le Brexit serait un non-événement. Si le Royaume Uni se retire de l’Union Européenne, on continuera de faire du commerce avec les Anglais. Mieux, ça permettra aux autres pays de se libérer d’un obstacle permanent!
La préoccupation majeure est plutôt le défi que posent des démocraties en fin de cycle. Une démocratie directe mais limitée par un système de représentativité est indispensable selon Fernando Guirao.
Albrecht Sonntag à qui revenait la lourde tâche de conclure sur les rebonds possibles n’a pas été beaucoup plus rassurant quant à l’issue du projet européen! Il pose la question du moteur franco-allemand alors qu’existe une divergence dans l’ADN des deux pays, l’un étant fédéraliste l’autre centraliste, se demandant même si l’Allemagne sera toujours pro-européenne et inoculée contre le populisme?
Le ton n’était donc ni à la confiance ni à l’optimisme. Peut-être faut-il prendre au mot Nora Hamadi quand elle lance, sous forme de boutade, qu’il faut tenir ces débats sur l’Europe non pas seulement dans les lieux clos des amphithéâtres d’Université, mais sur les places de marchés, et pourquoi pas ici à Nantes, au marché de Talensac, autour d’un plateau d’huitres et d’un bon verre de muscadet ! Ça veut dire remettre l’Europe en débat au plus près des territoires.
Stéphanie Rabaud, Directrice de l’Institut Kervégan