Membre de l’Institut Kervégan depuis plusieurs mois maintenant, je ressens le besoin de communiquer une envie. Cet institut est un lieu de croisement de regards dont une des finalités est l’émergence d’une parole différente et novatrice. Les ateliers proposés sont autant de fils d’une même pelote dont il nous est donné la possibilité de tisser un ouvrage complexe, à l’image de la société dans laquelle nous vivons. La science-fiction comme outil de prospective, l’innovation managériale et sociale dans l’organisation, et le modèle social sont les trois fils que j’ai choisi d’explorer durant ces quelques mois. C’est sur ce dernier atelier que je m’interroge. Et les réflexions naviguent vers trois axes que je propose de livrer, dans cette tribune, sous la forme de trois articles. En voici le premier.
A l’aune des difficultés auxquelles sont confrontés le politique, le citoyen, lorsqu’il devient « nécessaire » de réformer le modèle social français, je m’interroge. Et plus je participe aux débats, plus je suis perplexe. Quel que soit l’angle d’attaque les pensées se tournent inéluctablement vers les solutions qui améliorent un collectif pour en pénaliser un autre. Notre état d’esprit et nos modes de réflexions sont-ils adaptés à ce que nous pourrions apporter au sein d’un tel collectif et au vue de chaque individualité y prenant part ? Allons-nous dans le bon sens ?
Être humble, c’est à la fois accepter ses propres limites et avoir conscience de ses capacités. Alors soyons humbles et reconnaissons nos limitations à penser justement mais acceptons aussi que nous portons en nous des capacités insoupçonnées.
De quoi a besoin un être humain pour avancer dans le bon sens, celui qui lui convient, celui qui donne envie tout en co-construisant sa liberté individuelle et le bien-être du collectif dans lequel il vit ? La connaissance de soi, la reconnaissance de son histoire et l’apprentissage de ses expérimentations ? L’envie, moteur de tout grand projet, l’intuition qui précède parfois l’action ? Certes. Mais plus encore, le rêve qui fait exister le sens ! Nous avons besoin de retrouver notre capacité à rêver, comme « l’enfant marche joyeux, sans songer au chemin, n’en voyant pas la fin. » (Alfred de Musset)
Définir un but et se donner les moyens d’y cheminer
Alors pour quelles raisons est-ce si difficile de rêver ? Peur de la désillusion, inutilité de la démarche, ou plus simplement par manque de temps, par pression des enjeux immédiats, peut-être aussi par manque d’humilité car nous croyons savoir et que l’action « géniale » prime sur l’action juste.
Et pourtant, lorsque l’on voyage, il y a d’abord l’imagination, l’idée de la destination en fonction d’envies, de besoins, puis la recherche du moyen de transport en fonction du lieu de départ, des ressources, et la préparation. Il est hasardeux en tout cas aujourd’hui, à l’échelle d’une société, de naviguer sans but, même idéal. A contrario, définir un but, c’est moins l’atteindre que se donner les moyens d’y cheminer, quelles que soient les étapes. Je fais le pari que conscientiser l’objectif est la première marche qui nous autorisera à collectivement préparer ce voyage, traverser les obstacles éventuels. A mon sens, à la brutalité de ce nous proposent le contexte et notre histoire, je souhaite y apporter le rêve. Et je pense que pour certains, rêver est un choc encore plus grand car il bouleverse nos habitudes. Pourtant cette solution fonctionne, il suffit de regarder l’histoire
d’une autre manière.
Rêver un modèle social et penser le chemin pour y arriver
C’est parce que certains hommes ont rêvé de nouveaux continents, d’Europe unie, de grands monuments, d’idées de liberté… et qu’ils y ont cru que nous héritons aujourd’hui de la démocratie, de l’esprit d’entreprise, des jeux olympiques, de cathédrales, de vaccins, etc… Leurs rêves ont réussi à fédérer les hommes. Ils ont permis la réalisation de projets collectifs de grande ampleur qui vivent encore aujourd’hui. Et justement, aujourd’hui, de quoi avons-nous envie ? Comment imaginerions-nous notre société demain ? Qu’est-ce qui peut nous aider à laisser court à notre imagination ? A quoi voulons-nous rêver ? Osons rêver dès maintenant ! L’être humain porte en lui les valeurs de la société, il la fonde et la fait évoluer. Sans le rêve, le projet collectif s’effondre, la société meurt. Et face aux solutions simplificatrices, qui ne font que panser un système, je préfère rêver un modèle, penser le chemin pour y arriver et agir en conscience. Et c’est parce que je connais suffisamment mes valeurs, que j’arrive à imaginer un futur possible. Et je fais le pari que c’est en réinterrogeant ces valeurs qui fondent notre société que nous arriverons à dépasser les peurs qui nous empêchent de rêver.
Les valeurs rassemblent et rendent possible le rêve
Lorsque j’ai rejoint l’Institut Kervégan, j’ai aimé l’idée du « laboratoire d’idées citoyennes ». Aujourd’hui, j’en vois pleinement l’intérêt et l’enjeu. Moins qu’un lieu d’analyse, je souhaite qu’il me permette de rêver un monde meilleur. La science-fiction porte en elle des éléments prospectifs du rêve, aussi bien que des pires futurs possibles ; l’innovation managériale et sociale dessinera les futures graines de la transition ; le numérique est l’occasion de réinterroger sa citoyenneté, etc… Tous ces ateliers ont un sens commun. Les réflexions sur le modèle social français doivent être le lieu de catalyse qui autorise la germination des éléments d’utopie suffisants à un projet collectif plus actuel et novateur. Et, je le crois, l’existence du rêve donne l’opportunité au porteur de s’en saisir, de trouver en lui l’énergie nécessaire et faire avancer le collectif vers une réalité possible.
Vincent PHILLIPPÉ