Appelés jardins ouvriers jusqu’au milieu du XXe siècle, les jardins familiaux sont des parcelles gérées par des habitants de façon communautaire. On en trouve aujourd’hui 35, rien qu’à Nantes. Une envie presque charnelle de retour à la terre qui se heurte à la réalité de la pollution des sols. Trois chercheurs spécialisés et un élu sont venus en discuter avec un public fourni à l’Insula Café (île de Nantes), fin janvier.
La cité des ducs de Bretagne abrite à ce jour 35 jardins familiaux, soit exactement 1073 parcelles gérées par 24 associations, souvent micro-locales, dont la principale est l’Association des Jardins Familiaux Nantais. À titre de comparaison, il y a un siècle, en 1916, on n’aurait compté que 200 parcelles communautaires, selon la Ville de Nantes.
À la source
Dans l’intervalle, à la poursuite de l’industrialisation a succédé la désindustrialisation. L’iconique usine Lefèvre-Utile (LU) a quitté progressivement le quai Baco dans les années 1970 alors que les chantiers Dubigeon ont lancé leur dernier navire sur la Loire en 1986. Cette histoire a laissé des traces dans les têtes et dans les terres. « L’analyse historique de l’occupation des sols est très importante pour différencier la pollution anthropique d’un héritage « naturel » », souligne Cécile Le Guern, ingénieure de recherche au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), exemple à l’appui.
Sur un parc potager du nord-est de Nantes, Les Églantiers, la moitié des 90 parcelles étaient polluées au plomb et à l’arsenic à hauteur de bêche – moins cher et plus rapide, l’appareil de mesure in situ est préféré aux analyses en laboratoires. L’origine ? Une roche qui s’avère naturellement riche en plomb après prélèvement en sous-sol par carottage, Selon Béatrice Bechet, chargée de recherche à l’IFFSTAR, la méthode « permet de comprendre très précisément d’où viennent les pollutions ». Aux Oblates, dans le Bas-Chantenay, c’est une fonderie qui a légué un sol plombé, longtemps cultivé par des bonnes sœurs. Ailleurs, une zone de dépôt de déchets ou un ancien garage seront incriminés.
De l’évolution des pollutions
De quoi troubler la démarche, souvent intime autant qu’éthique, de se réalimenter avec ses fruits et légumes. Voix légèrement tremblante, une participante s’en fait l’écho : « Je suis l’heureuse bénéficiaire d’un jardin partagé. Mais en tant que citoyenne, comment j’accède concrètement aux informations sur les pollutions ? Est-ce que je peux encourager des enfants à manger bio dans des jardins familiaux ? ».
« La transparence, c’est la clef », répond l’élu municipal (EELV) en charge des jardins familiaux, Pierre-Yves Lebrun. En cas de pollution avérée sur des parcelles familiales, les jardins adjacents ainsi que les riverains sont par exemple avertis. Une approche unanimement saluée par les scientifiques présents ce soir-là. Depuis 2011 existe également la base nationale de données BAPPET. Bien que rebutante cette plate-forme aussi ouverte qu’à jour, répète à plusieurs reprises Thierry Lebeau, enseignant–chercheur à Université de Nantes, tout en ajoutant tranquillement que « les micro-organismes peuvent dégrader toutes les pollutions, c’est juste une question de temps ».
La régénération verte
Une phase de dépollution qui nécessite tout autant de doigté et pédagogie, le risque de traumatisme psychologique des usagers étant réel. « Si on annonce aux jardiniers qu’il faut 50 ans pour dépolluer le site, vous imaginez les réactions ! s’exclame Monsieur Lebeau, Donc on choisi de coupler la dépollution par les plantes avec des légumes qui n’agglutinent pas le plomb ou le cuivre ». Autre option, le mélange de terres pour compenser le différentiel de pollutions entre deux parcelles.
Des solutions techniques qui ouvrent des questions quasi anthropologiques. « Y a t-il des études sur les bénéfices-risques humains de la gestion des jardins familiaux? », s’interroge t-on à haute voix dans la salle. La bêche n’a pas fini de retourner la terre.
Par Thibault Dumas, journaliste.