Par Gaël BERNICOT
Quand l’horreur survient, qu’elle ébranle nos certitudes et nous plonge dans le doute, il est pénible, le premier choc passé, de supporter la logorrhée ambiante de « certitudes » et d’« évidences ».
Pour échapper au malaise, il faut peut-être éteindre la radio, renoncer un temps à parler et se poser. Dans un tel moment, on peut reprendre un livre ancien qui ne parle pas de l’événement mais peut aider à lui rendre toute sa complexité, aider à concevoir un nouvel horizon.
Ce que je propose de faire avec un livre de 1998 écrit par Amin Maalouf.
Le paradoxe de l’identité
Le premier constat du livre est le paradoxe du terme d’ « identité ». L’identité de chacun est faite d’appartenances multiples : culturelle, linguistique, religieuse, nationale, politique, familiale… L’identité est à la fois ce qui rattache chacun à des millions de gens avec lesquels on partage au moins une appartenance commune et à la fois ce qui fait que l’on est unique, ce mélange d’appartenance ne définissant qu’un seul et unique être humain.
Quand l’identité devient meurtrière
L’identité devient meurtrière lorsqu’elle ignore son caractère composite et complexe. Le monde est alors séparé par le « nous » et « les autres ». « Les autres » auxquels on peut dénier le droit à l’humanité et le droit de vivre.
Les mécanismes sont complexes qui font enfler une des composantes identitaires d’un individu qui finit par avaler les autres et justifier l’injustifiable. Ils relèvent à la fois de déterminants collectifs et d’un parcours individuel.
Le besoin de réciprocité
C’est la réciprocité de reconnaissance des identités qui permet aux individus d’adopter l’identité la plus large. Ils se sentiront appartenir à une collectivité plus vaste dont ils adopteront les normes s’ils peuvent y discerner leurs apports parmi ceux d’autres groupes. Il est possible de s’entendre entre personnes différentes pourvu que l’on reconnaisse la différence de l’autre. Ce n’est qu’à cette condition que les règles d’une identité commune peuvent s’appliquer sans que cela soit perçu comme l’amputation d’une identité particulière.
Trois langues minimum
Cette réciprocité dans le respect des identités, s’inscrit particulièrement dans les langues. Pour l’auteur libanais, trois langues sont au moins nécessaires pour vivre dans un monde post-tribal. Une première langue identitaire permet de préserver la diversité culturelle et fournit à l’individu un socle d’affirmation sereine. Une seconde langue internationale dominante permet d’échanger avec le plus grand nombre et s’intégrer au monde. Enfin, une troisième langue, au moins, une langue de cœur, permet un échange direct avec une autre culture d’élection.
Ni communautarisme ni dictature de la majorité
Les identités posent un défi politique majeur aux démocraties qui doivent cheminer sur une délicate ligne de crête. Une reconnaissance excessive d’identités communautaires finit par dissoudre une appartenance nationale plus large. A l’inverse, une uniformisation reposant sur l’identité de la majorité refusant de reconnaître des identités minoritaires est source de conflits tout aussi destructeurs.
A la fermeture de ce livre écrit il y a près de 20 ans, on apprivoise mieux la complexité du présent. Nous sommes confrontés à la nécessité de repenser nos modalités du « vivre ensemble ». Dans l’émotion, la peur, méfions-nous des solutions simples, des mesures hâtives, des amalgames mutilants.
Avec l’apprentissage des langues, mais aussi plus largement avec une ouverture à d’autres cultures, c’est bien entendu la question de l’éducation qui est posée.