La terre tremble sous nos pieds, le plafond céleste baisse et se lézarde, le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter (avec ou sans travail) de façon exponentielle et concomitante à l’augmentation des richesses accumulées par quelques uns. Mais ne vous inquiétez pas. Il ne s’agit que d’un ensemble de transitions auxquelles nous saurons faire face en êtres rationnels et naturellement tournés vers le progrès.
Quel est ce procédé rhétorique qui semble vouloir simplement nous faire passer en douceur d’un état à un autre ? Et qui sont ces « passeurs » décrétés, que nos démocraties ont inventés dans la fragilité de leurs imperfections ? Quand nous entendons que 50 % des emplois des années 2030 n’existent pas encore, et souvent qu’ils ne peuvent même pas être imaginés, pouvons-nous parler de simple mutation du monde du travail dans le cadre d’une transition numérique à laquelle il faudrait simplement s’adapter ? Comment trouver une réponse à la non-balance du nombre d’emplois créés et supprimés ? Il n’est sans doute pas incongru d’interroger la signification de la « valeur travail », non pour la supprimer mais pour la resituer dans un contexte bouleversé. N’est-ce pas également étrange que l’on développe des concepts comme celui de l’économie appelée collaborative dans un monde du travail de plus en plus atomisé et précarisé ? L’organisation ne devient pas alors plus transversale que verticale. Elle tend plutôt à disparaître. En d’autres termes, quelle place donner à chacun pour faire encore société ? Ou bien devons nous considérer que nous ne sommes que de simples individus regroupés ? Attendre une hypothétique reprise de la croissance économique classique pour justifier la pertinence d’une politique, n’est ce pas l’expression exacerbée d’un court-termisme électoral au service de situations installées ?
De la même façon, nous pouvons sans doute parler de transition énergétique, comme élément d’une transition écologique, qui apparaît chaque jour un peu plus urgente, car le rythme des mesures prises épouse trop souvent la vitesse d’une éolienne aux pales époumonées. Cette idée, vieille à présent de presque 40 ans, avance aux vents menaçants de l’asphyxie atmosphérique de nos métropoles toujours plus grandes. Certes l’accord de la COP 21 a été un événement significatif mais il reste fragile. De même les initiatives cumulées des pouvoirs publics locaux permettent de réelles avancées. Mais l’économie circulaire ne risque-t-elle pas de tourner en rond si elle continue de penser qu’il suffit simplement de « recycler » la vieille idée de la création des besoins plutôt que de questionner la sobriété heureuse et repositionner cette transition écologique en projet politique central et assumé autour de la gouvernance des communs. Tout n’est pas marché, comme l’a rappelé récemment l’initiative de la Slovénie sur la problématique de l’eau, et le marché ne doit pas être tout, même si tout a une valeur.
Et si « small » n’est pas beautiful par nature, « huge » est assurément porteur de chaos. Mais heureusement la transition démographique nous permettra de répondre aux enjeux d’accès aux ressources de la planète….
Alors, pour ne pas tomber dans l’écologie punitive que les discours catastrophistes pourraient tendre à justifier, réhabilitons l’Histoire et la recherche du Sens indispensable à l’humain. Ainsi nous ne parlerons plus de transition mais de combat et de révolution au sens premier du mot car nos démocraties ne seront dignes qui si elles assument le paradoxe de concilier l’exigence de choix responsables, imposables à tous, avec le respect de la liberté et la conscience de soi, de chacun.
La petite pierre de l’Institut Kervégan ne se situe-t-elle pas là, lui qui se trouve aussi dans une période de transition?
Par Jean-Jacques Derrien