Marée noire, verte voire rouge… La pollution littorale qui imprime la rétine est celle qui marque les esprits. Pourtant l’impact néfaste de l’Homme sur les côtes est avant tout chronique et invisible comme l’exposent Paul Fattal et Nicolas Rollo, enseignants-chercheurs au laboratoire Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique de l’université de Nantes.
Des nappes brunâtres d’une bouillie visqueuse qui badigeonnent le rivage, jusqu’à alourdir les bottes et assombrir le moral de nettoyeurs spontanés, arrivés en masse. Prestige, Erika, Exxon Valdez, Amoco Cadiz, ces noms, aussi exotiques qu’effrayants, marquent les esprits. Dans l’Ouest peut-être un peu plus qu’ailleurs. L’expression « marée noire » naquit au demeurant dans les colonnes du Télégramme de Brest au moment de la première d’entre-elles répertoriée/médiatisée après le naufrage en 1967 du Torrey Canon, au large des côtes britanico-françaises.
« En termes de risque pur, le risque de marée noire diminue depuis 40 ans. Avec cette diminution des risques de pollutions accidentelles, le vrai risque s’avère être la pollution chronique » lance, de son propre aveu « quitte à choquer », Paul Fattal, professeur des universités et vice-président qualité et développement durable de l’université de Nantes. Évoquer « une marée noire » au singulier ne serait d’ailleurs point pertinent tant il y aurait « des marées noires », au vue de la nature et du comportement de chaque type de pétrole.
« Visuellement la marée noire touche. L’impact est immédiat sur la faune et la flore, poursuit l’enseignant-chercheur. Mais en termes de persistance et de rémanence, l’Erika c’est quatre ans. On pensait que 350 000 oiseaux seraient touchés, il n’y en a eu que 150 000 au final ».
Universitaires contre lobbies
Diffuse, régulière, le plus souvent invisible, la pollution littorale s’avère bien plus fine à analyser sur un temps long. Surtout, elle n’agit pas sur un champ unique – fut-il naturel donc précieux – aux dires de son collègue Nicolas Rollo, maître de conférences à l’université de Nantes : « Les grandes catégories d’impact, ce sont les conséquences sanitaires, écologiques, sur les activités économiques mais aussi, et on y pense moins, sur le marketing territorial et les mesures de gestion territoriale. »
Comment réparer et prévenir, alors ? L’aléa se situe tantôt du côté de la source de pollution, tantôt du côté de la vulnérabilité du terrain. « Il faut donc agir soit sur l’un, soit sur l’autre, insiste Nicolas Rollo. Les actions à mettre en œuvre on les connaît, le plus difficile c’est de prioriser. C’est ce qu’on à fait avec le traitement phytosanitaire des parcelles agricoles. Mais cette complexité peut amener à un découragement des autorités locales. »
L’influence des lobbies industriel et économique sur celles-ci suscite précisément quelques interrogations dans l’assistance. Paul Fattal réplique, tout aussi réaliste qu’optimiste, « [qu’]Il y a 30 ans, quand on arrivait dans une commune littorale on était littéralement jeté à coups de pied au derrière. Désormais, il existe depuis quatre ans un Observatoire régional des risques côtiers. On joue notre rôle d’universitaires face aux lobbies, c’est un jeu très subtile et on fait notre travail factuel de recherche scientifique. À l’élu ensuite de décider ».
Par Thibault Dumas, journaliste.