Mercredi 25 septembre était réuni, salle des expositions de Nantes Métropole, un panel d’acteurs de l’énergie en Pays de la Loire. Cet événement était proposé par l’Institut Kervégan à l’occasion de la sortie de son rapport sur la transition énergétique, un premier opus dédié à l’énergie est disponible en téléchargement ci-dessous.
Cette soirée a permis de réunir experts et citoyens autour des enjeux actuels et futurs de l’énergie en France et plus particulièrement en Pays de la Loire. Une table ronde construite autour des contributions de : Christelle Rougebief, Directeur Régional GRDF, Gilles Rollet, Directeur Régional ENEDIS, Philippe Weisz, Responsable du Pôle énergies à Nantes Métropole, Eric Mathieu, Coordinateur projet Smart Grid pour SMILE mais également de Simon Ducasse, Délégué Général d’Atlansun, représentant la filière solaire en Bretagne et Pays de Loire et de Claire Legrand, animatrice du réseau, Énergies Citoyennes en Pays de la Loire au sujet de l’engagement citoyen dans les énergies renouvelables. Le tout était orchestré par Hugues Delplanque animateur de la table ronde et spécialiste environnement et énergie.
Dans un premier temps pour bien de cerner la situation actuelle de l’énergie, les invités ont fait le bilan des transformations liées à la transition énergétique depuis une dizaine d’années dans leur filière respective.
Les transformations liées à la transition énergétique depuis 10 ans
Chez ENEDIS, fournisseur et distributeur d’énergie, Gilles Rollet explique que la transformation majeure intervenue depuis dix ans est l’arrivée des énergies renouvelables et de leur production décentralisée et indépendante : « Il y a 10 ans l’énergie était centralisée et produite par des grands équipements : centrales nucléaires, centrales thermiques, barrages hydroélectriques… Aujourd’hui, ils sont 400 000 producteurs d’ENR en France. En pays de la Loire ils sont 45 000 et injectent 95 % de ce qu’ils produisent sur le réseau de distribution, c’est un changement notoire. »
Cette transformation a des conséquences importantes sur le système électrique pensé et conçu autour d’un modèle centralisé. Un système qui doit fonctionner aujourd’hui en réseau afin de pouvoir relier cette diversité d’acteurs de l’énergie, à la fois producteurs et consommateurs.
Du côté de GRDF, gestionnaire du réseau de distribution de gaz, l’évolution majeure est apparue il y a seulement 2 à 3 ans avec l’arrivée du gaz renouvelable. Christelle Rougebief précise : « Il y a 10 ans, le gaz était vu comme une énergie destinée à disparaitre, une énergie naturelle certes toujours disponible, moins polluante que le charbon mais une énergie fossile tout de même. »
Le deuxième changement concerne la consommation. On observe depuis quelques années une baisse constante de consommation. Un pavillon construit il y a 10 ans, consommait 20 000 Kwh, aujourd’hui c’est 5000 Kwh. En Pays de la Loire entre 2017 et 2018, sur 30 000 nouveaux foyers installés et 5600 clients supplémentaires pour GRDF, il est constaté une baisse de 0.6 % de consommation. Cette baisse va s’accélérer avec la rénovation thermique des logements anciens et les nouvelles normes de constructions dans le logement neuf.
Christelle Rougebief note un troisième changement notoire, pour la filière gaz : « Aujourd’hui, le gaz est une énergie majeure dans la production d’électricité. On observe des conversions de centrales thermiques au fioul ou au charbon en centrales thermiques au gaz ».
Pour Éric Mathieu, coordinateur de projets Smart Grid pour SMILE, il est difficile de remonter aussi loin dans le temps car le principe de Smart Grid est encore à ses débuts. Le rôle de SMILE (Smart Ideas to Link Energies), créé en avril 2016 en Bretagne et en Pays de la Loire est de promouvoir, d’accompagner et développer des projets de Smart Grids. Le traitement de la Data devient l’outil du développement de ces réseaux électriques intelligents. L’objectifs est d’apporter des solutions pour mieux intégrer et stocker les énergies renouvelables, maîtriser et agir au quotidien sur les consommations électriques, développer les mobilités durables et l’usage des véhicules verts mais aussi de sécuriser les réseaux et l’approvisionnement en électricité. SMILE apporte des outils pour accélérer la transformation du système énergétique : « L’enjeu aujourd’hui est de pouvoir intégrer cette multiplicité de sources d’énergies fossiles (il en faut encore) et renouvelables (par essence souvent intermittentes) que l’on doit pouvoir piloter finement pour les intégrer au réseau ». L’ambition de SMILE est de faciliter la réalisation de projets qui proposent un bon usage des réseaux énergétiques intelligents avec l’objectif de renforcer la production et la consommation locale d’énergie sur le territoire.
Monsieur Philippe Weisz, présente les actions de Nantes Métropole en faveur de la transition énergétique. La Métropole doit faire face à un double enjeu : celui des mobilités qui représentent 35% de la consommation d’énergie totale du territoire et celui du chauffage avec 27 % de la consommation. Au regard de sa compétence Énergie depuis 2011, la métropole se focalise naturellement sur la question du chauffage et développe depuis 2012 les réseaux de chaleur. Les objectifs sont clairs : permettre à un maximum d’énergies renouvelables d’alimenter les réseaux de chaleur et proposer un tarif abordable. Aujourd’hui les réseaux de chaleur utilisent 8.75 % d’énergies renouvelables qui proviennent notamment des usines d’incinération de déchets. On observe une croissance très forte des réseaux de chaleur avec 33000 logements raccordés. Avec 48 % de logements sociaux raccordés, les réseaux de chaleur permettent de répondre à la fois à des enjeux sociaux et environnementaux.
Philippe Weisz fait observer que le solaire est un élément qui impacte fortement les réseaux. Le plan solaire initié en 2015 par la métropole nantaise commence à produire ses effets en particulier avec la création de la centrale solaire du MIN et d’ombrières photovoltaïques sur le Zénith mais aussi la mise en place d’un cadastre solaire et le développement de financements participatifs citoyens avec Co Watt.
L’enjeu majeur pour la métropole est d’agir sur la maîtrise de la consommation d’énergie à travers ses divers plans : plan local métropolitain, plan de déplacement urbain, plan chauffage et plan solaire. « La marche est encore haute », explique Philippe Weisz : « Il faut pouvoir accompagner le développement de Nantes à la fois en termes de nouveaux habitants, de développement économique mais aussi anticiper les nouveaux besoins tout en restant dans une logique de réduction de consommations. »
Du côté de la filière solaire, Simon Ducasse représentant en Bretagne et en Pays de la Loire des acteurs du solaire explique l’évolution de la filière solaire : « Il y a 10 ans on ne parlait que de solaire thermique utilisé pour la production de chaleur. Puis est apparu le solaire photovoltaïque pour la production d’énergie. Grâce au développement de compétences et de technologies cette énergie solaire a pu être intégrée dans les réseaux ». L’évolution depuis 10 ans se constate au niveau du tarif qui a été divisé par 10. Simon Ducasse explique que l’énergie photovoltaïque devient compétitive : « c’est une grande transformation. Aujourd’hui grâce au photovoltaïque, le citoyen peut avoir deux choix pour acheter de l’énergie, soit il l’achète à son fournisseur habituel, soit il consomme celle qu’il produit ». L’apparition de ce choix complémentaire dans le modèle énergétique centralisé est une réelle révolution. L’autoconsommation en est à ses prémices, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Simon Ducasse prend l’exemple de l’Italie : « 15 % de la consommation totale d’énergie provient de l’autoconsommation, en France on atteint à peine 1 % de la consommation total d’énergie photovoltaïque en autoconsommation.»
C’est au tour de Claire Legrand de nous expliquer l’évolution depuis ces 10 dernières années de l’engagement citoyen dans les énergies à travers le financement participatif de parcs de production d’ENR. L’association Énergies citoyennes en Pays de la Loire comptabilise 50 projets émanant de 5000 Citoyens, moitié éoliens, moitié photovoltaïques. Ils représentent 5% de la production d’ENR en Pays de la Loire. Cette initiative existe également au niveau national sous le nom d’énergie partagée. Depuis 2015 les collectivités aussi peuvent investir dans ces projets citoyens en prenant part au capital et en participant à leur gouvernance.
L’énergie citoyenne s’appuie sur 4 piliers : un ancrage local, une gouvernance démocratique, un financement non spéculatif et la réduction de la consommation d’énergie. L’objectif est d’engager le citoyen sur des actions globales en agissant sur la consommation. Chaque citoyen se sent responsable de l’énergie qu’il participe à produire et qu’il consomme. Cette prise de conscience est une réelle évolution dans les actions à engager pour la réduction des gaz à effet de serre. Elle précise que l’aspect non spéculatif de ces projets ne signifie pas une absence de rentabilité. Au contraire, les bénéfices sont utilisés notamment dans des actions en faveur de cette réduction.
Défis, objectifs et moyens à mettre en œuvre
Dans une seconde partie il a été question de se projeter et de s’interroger sur les défis à relever d’ici 10 ans et les moyens mis en œuvre pour y arriver.
Du côté de l’énergie citoyenne le défi majeur est d’impliquer d’avantage les collectivités via leur plan climat. Un soutien à plus grande échelle permettrait d’atteindre une part de 15 % d’énergies citoyennes au niveau régional.
Pour Simon Ducasse, la prochaine étape dans le solaire d’ici 2021 est d’atteindre la parité du marché : « Moi, le producteur je vais pouvoir vendre de l’énergie au même prix qu’elle s’achète chez n’importe quel fournisseur. Ça veut dire que tout le monde sera producteur, consommateur, distributeur. Une véritable révolution que seul le numérique et un réseau fort sont en capacité de pouvoir gérer ». Un objectif atteignable à condition d’engager une transformation du financement du système énergétique français : « Cependant, on manque de compréhension et de pédagogie sur le sujet», regrette Simon Ducasse.
Au niveau de la Métropole, le défi majeur à réaliser dans les 10 ans est de s’appuyer sur les réseaux existant afin d’injecter de plus en plus d’ENR. Les innovations de demain à l’étude se tournent du côté de la mutualisation de production d’énergie avec par exemple l’échange de chaleur entre entreprise ou encore avec la formalisation d’une alliance avec les territoires ruraux environnants (production de bio méthane, développement de l’économie circulaire locale…). Mais l’enjeu fondamental reste celui de l’intégration et de la sensibilisation des citoyens qui vont devoir adapter leurs habitudes, leur mode de vie, leur déplacement ou encore leur consommation : «Le vrai défi est d’associer le citoyen» conclut Philippe Weisz.
Pour accompagner ces changements de production, consommation et distribution d’énergie, SMILE se donne pour mission de permettre à la Bretagne et aux Pays de la Loire de sortir d’une situation énergétique dépendant d’un approvisionnement national en favorisant la production et la consommation locale d’énergie. Une future réalité possible avec la production de biogaz et un renforcement des réseaux.
Pour Christelle Rougebief l’avenir se trouve du côté de la pénétration progressive des ENR dans la filière Gaz : rendre le gaz naturel renouvelable grâce au biogaz et au bio méthane. Les innovations en marche concernent : la méthanisation, par transformation en gaz des déchets organiques, agricoles ou de l’industrie agroalimentaire. La seconde option est de créer du gaz renouvelable issu de la consommation d’électricité avec une technologie appelée « Power To Gaz ». Cette technique propose de pallier l’intermittence des ENR en permettant de transformer de l’eau combinée à du CO2 afin de produire de l’hydrogène qui sera ensuite transformable. Cette technique permettra de stocker le surplus d’électricité renouvelable sous forme gazeuse.
Christelle Rougebief précise que l’enjeu du stockage de l’énergie en grande quantité est primordial car les ENR ne produisent pas assez pour couvrir les besoins à un instant T. Il faut pouvoir stocker cette énergie. La France a la possibilité de faire du gaz 100% renouvelable. Christelle Rougebief prend l’exemple des Pays de la Loire où l’agriculture est très développée ainsi que l’industrie agroalimentaire, deux secteurs sur lesquels pourront s’appuyer la production de méthane depuis les déchets organiques. « Il est prévu de pouvoir couvrir 60% de la consommation des Pays de la Loire avec le méthane », complète la représentante de GRDF en Pays de la Loire. En 2030 GRDF espère que 30% du gaz stocké dans les réseaux soit renouvelable. Cet objectif est tout à fait atteignable, selon Christelle Rougebief : « Aujourd’hui en Pays de la Loire, il y a déjà des projets capables de porter 10% de la consommation de gaz.»
Gilles Rollet explique qu’ENEDIS doit pouvoir répondre à une demande croissante de mobilité électrique : « Il y a de plus en plus d’attente, de demande et de besoin. Le rôle d’ENEDIS à l’avenir c’est d’être capable de rendre le réseau adaptable à cette nouvelle donne tout en assurant une électricité sûre, permanente quelle que soit l’utilisation que chacun en fait ». C’est en équipant les réseaux d’outils numériques capables de collecter des données que pourra être relevé le défi de l’autoconsommation.
Ces témoignages d’experts de l’énergie ont permis de poser les bases du débat qui a suivi avec le public. De nombreuses questions ont pu être posées dans la transparence, l’écoute et le respect des points de vue. Les positions des uns et des autres ont pu être entendues, un dialogue nécessaire qui nous l’espérons a permis d’ajouter une pierre à l’édifice de la transformation énergétique souhaitée par tous.