« Changer », est devenu un programme en soit. Pour la société en général et les entreprises plus particulièrement. Mais quelles dynamiques sociales profondes naissent de ce mot d’ordre venu d’en haut ? Vieux complices, Bernard Blanc, Directeur Général d’Aquitanis (office public de l’habitat à Bordeaux), et Sophie Bretesché, Sociologue à l’École des Mines de Nantes, ont emmené une cinquantaine de personnes en plongée sociologique, à l’Insula Café.
Il y a d’abord la face visible de l’iceberg, blanche, immaculée. La direction d’une entreprise et son patrimoine aisément mesurable. En dessous, la face immergée, nuancier mouvant de bleus. Les individus et leurs dynamiques sociales. Toute transformation de cette structure, serait bénéfique en elle-même. Donc nécessaire. « Le changement est partout, tout le temps. Mais c’est un mot-valise qui recouvre des réalités très différents car il modifie toujours le cours d’une histoire collective », avertit d’entrée la sociologue Sophie Bretesché (voir interview ci-dessous).
C’est en 2002 que Bernard Blanc prend la tête de l’office HLM de Saint-Nazaire, mastodonte local avec la reconstruction de la ville post-1945 en bandoulière. Un Nazairien sur trois habite dans un des 8 000 logements du parc en gestion. « Quasiment tous les offices se sont créés avec l’idée de « faire » la société, localement ça a conféré à ceux qui y travaillent un certain aura et une certaine fierté », note celui qui officie désormais à Bordeaux.
Travail de mémoire
La décennie 1990 a été celle de la modernisation de la bureaucratie à marché forcée – « comme dans toute entreprise, public ou privée, il y a eu un passage de la technicité au service ». Le chiffre d’affaires a effacé le budget. Le client a remplacé l’usager. Une administration de la ville est devenue une société publique avec son acronyme : Silène. D’où un climat de tension avec la direction, matinée… d’une volonté de bien faire des employés.
Pour Sophie Bretesché « tout changement social en entreprise engendre l’oubli et donc la nécessité de réhabiliter un travail de mémoire ». Notamment autour du savoir-faire des métiers, bousculée par l’arrivée des emplois aidés et autres intérimaires. « Avant, j’avais un métier, maintenant juste une tâche », « on nous a volé le métier », résonnent à la base.
« Pas un vrai chef »
Communément décriée, la résistance au changement – les fameux 10 % d’irréductibles plus 20 à 40 % d’indécis – est en fait la manifestation positive d’une culture vivace. Le véritable ennemi s’avère l’apathie. Bernard Blanc prône une approche « actionelle« , singulièrement pour les cadres. Une réinvention du métier à partir du terrain avec un dessein clair : un service au plus près des besoins (complexes) des habitants. Responsabilité, autonomie, ajustements mutuels, des principes qui feront aussi naître les vitupérations « de ne pas être un vrai chef ».
Cette parenthèse se referme avec une reprise en main politique et bureaucratique, au tournant des années 2010. Les salariés se mettent en grève, les visites auprès de la médecine du travail sont multipliées par trois. « Problèmes individuels », répond la direction. Le tableau d’ensemble est bien plus cru. Trois dirigeants, trois réorganisations, pour un changement à… 360 degrés. « Le sens de l’histoire pour les salariés de l’office HLM nazairien, c’est que rien n’a changé », conclu abruptement Sophie Bretesché.
Par Thibault Dumas, journaliste.