Un article de Thibault Dumas
Avec « Pour en finir avec le « bonheur » » (éditions Bayard Culture, mars 2014), le philosophe nantais André Guigot sonne la charge contre une certaine idée du bien-être, jugée dictatoriale. Lundi 7 juillet, il a débattu de son ouvrage devant une cinquantaine de personnes lors d’une soirée organisée par l’Institut Kervégan à l’Insula Café (Nantes).
André Guigot mène un combat tranquille contre une tyrannie à visage souriant : celle du bonheur. Du moins un certain bonheur, exclusif et incantatoire. « Pour être heureux aujourd’hui, tous les moyens sont bons. Le bonheur est un idéal totalitaire » pose d’entrée le philosophe, spécialiste de Jean-Paul Sartre.
Derrière le smiley, ce visage jaune au sourire noir emblème des années 1990, on trouve pour l’enseignant en lycée et à l’université de Nantes « un idéal normatif de bonheur extrêmement violent » – « Il y a un contraste entre le ton du livre et la bienveillance de l’orateur » fait remarquer à la table Thierry Patrice, professeur en physiologie et biologie animale au CHU de Nantes .
« Le récit sur l’événement a remplacé l’événement lui-même »
Pour l’auteur, la rupture date de la dislocation du bloc soviétique et des échecs successifs des deux grands matérialismes : le marxisme puis le capitalisme, devenu sauvage. Les utopies mourantes ont laissé place à une allégresse de façade, portée par les médias, le marketing et la publicité – depuis 30 ans, le nombre de livres sur le bonheur a été multiplié par six.
Un affichage égoïste désormais numérique, mais déconnecté des autres et de la réalité, « auparavant on vivait un événement puis on le racontait. Aujourd’hui, le récit sur l’événement a remplacé l’événement lui-même » note Monsieur Guigot, qui préfère mettre en avant un ensemble de valeurs jugée désuètes : la vertu, l’altruisme ou encore la lenteur.
Un participant fait remarquer dans la salle qu’« il y a des époques ou des lieux ou la question ne se posait absolument pas », signe d’une crispation avant tout moderne et occidentale. « C’est par ce que l’idée d’un certain bonheur s’est démocratisée, que c’est devenu un problème » acquiesce André Guigot.