Prémices
Tout a sans doute débuté par les pages lues d’un roman, Makers de Cory Doctorow, 2009, trop proche et bien informé pour ne pas être réel. Ou, si ce n’est pas le présent, dans un futur très proche: des grandes entreprises industrielles devenues sans objet de n’avoir su inventer leur avenir ; des grands centres commerciaux abandonnés, dont les rayonnages encore abondants deviennent la nouvelle matière première d’une industrie naissante ; et surtout ces petits groupes d’entrepreneurs-militants qui inventent l’étape d’après en s’appropriant la fabrique du réel, sans s’encombrer des codes de l’industrie et de l’économie. Des hackers du réel.
Et puis cette usine aussi, qui a permis la prise de conscience. Une usine comme une autre, grande halle métallique simple et belle posée aux portes de cette métropole de province. Un de ces temples dédiés depuis tant d’années au dieu automobile, peuplé de femmes et d’hommes (surtout) qui officient devant des machines un peu datées, fumantes et suintantes. Un dieu qui tousse de n’être plus le centre du monde, une usine en crise, un avenir à trouver pour ces femmes et ces hommes, pour ce lieu… Impasse.
Intuition(s)
C’est un petit groupe de curieux qui s’est assemblé autour d’un questionnement plus que d’un sujet: la sensation qu’un nouveau mode de faire, de produire, pourrait bientôt permettre de donner un nouvel avenir à cette usine, ou plus largement de retrouver une vocation productive à nos villes et territoires.
Une réaction au discours dominant sur le déclin de l’industrie en France, mais aussi la frustration de voir ces friches industrielles ne se transformer qu’en écoquartiers rutilants, ou en nouvel eldorado pour une économie tournée uniquement vers le virtuel.
Et pourtant quelques ruptures technologiques – l’impression 3D étant le symbole le plus visible – semblent pouvoir permettre de faire émerger de nouveaux modes de production. Des innovations qui interrogent les paradigmes de la production artisanale et industrielle à moyen terme, et son rapport à l’espace. Quelques exemples aussi cités d’entreprises expérimentant la relocalisation d’activité en France, ou le développement des principes de mutualisation de moyens de productions à l’échelle locale…. Tout un champ à explorer.
(a)méthode
Car c’est bien d’une exploration dont il s’agit. Une volonté collective de rester dans le foisonnement, de ne pas chercher la synthèse ou une réponse claire à une question floue.
Une méthode en symbiose avec le sujet qui, au delà des produits et des outils, interroge les organisations et les rapports des acteurs économiques: réseaux, écosystèmes, collaboration…
La confrontation des points de vue sur l’objet de l’étude au sein du groupe de travail, les lectures de chacun et les entretiens effectués auprès d’acteurs institutionnels et d’entreprises nous ont conduit à sans cesse interroger le sujet même de notre étude, sa finalité et la méthodologie à suivre.
Phénomènes émergeant, signaux faibles… autant de qualificatifs qui traduisent notre objet d’étude et qui nous conduisent avec humilité à abandonner l’idée d’aboutir à une théorie structurée, globale et explicative du phénomène observé.
Abandon au profit d’une narration des expériences et parcours entrepreneuriaux de ces faiseurs. Des récits.
Impasses
Le recours aux disciplines et expériences comme l’écologie industrielle, les circuit courts dans le domaine agricole, l’économie circulaire, l’upcycling, l’économie collaborative… nous ont certes apporté des éclairages et permis de préciser notre objet, mais il ne nous a pas permis de donner sens à nos observations.
Le dialogue avec les acteurs institutionnels nous a aussi permis d’apprécier les dynamiques et les interrogations d’un secteur industriel en pleine ébullition, sans toutefois répondre à nos attentes.
Il fallait chercher plus loin, plus petit sans doute, plus discret surtout, hors des radars des institutions.
Quant aux technologies, à l’imprimante 3D, aux Fablabs, sans doute sont elles une des clef de cette dynamique émergente, mais tout n’est pas là. Il manquait sans doute ce ciment entrepreneurial qui donnait du sens à l’expérience. Des pionniers.
Signaux faibles
C’est finalement la rencontre d’entrepreneurs au détour d’une idée qui nous a fait comprendre qu’il se passait vraiment quelque chose. De ces rencontres est née l’idée qu’une nouvelle économie du faire était en train d’émerger sur le territoire. Une industrie qui n’en assumerait sans doute pas le nom, bien différent, si discrète.
Des aventures entrepreneuriales de ces quelques pionniers émergent quelques points communs qui font sens, les signaux faibles de la naissance d’une nouvelle économie locale du réel ?
Il y a d’abord une forme de rejet des modèles traditionnels de l’économie. Un rejet qui est loin de s’inscrire dans un discours militant, mais dans une action en rupture avec les pratiques usuelles, dans une pleine recherche de sens dans l’action et les relations économiques. Une forme aussi de retour du travail des mains, aux valeurs de l’ « homo faber ».
De ce rejet émerge une pratique différente du modèle entrepreneurial, plus collaboratif. Le développement de ces entreprises se fonde sur un écosystème de partenaires hors des dispositifs institutionnels organisés, des intermédiaires classiques, une relation de pairs qui s’instaure souplement en marge du système.
L’objet même de ces activités, produire du réel, semble aussi s’inscrire dans la nécessité d’un retour au vrai, au réel, de donner du sens à son action, dans une société tournée essentiellement vers le virtuel. Une manière de faire sans doute éloignée des canons de l’artisanat, mêlant les outils numériques, la conception avec une production consciente. Un rapprochement des cols blancs et bleus autour d’un même objet.
Et finalement, la technologie n’est pas si fondamentale. Pleinement appropriée, banalisée, elle est plus un des outils de la rupture du modèle que la rupture elle même. La rupture est finalement plus organisationnelle, commerciale et marketing que technologique, même si bien sûr les nouveaux outils de productions permettent d’abaisser le coût d’entrée sur les marchés de production, et si internet permet désormais de s’adresser à des marchés de niche mondialisés.
Mais ce qui reste de ces rencontres c’est surtout la dimension humaine de l’aventure entrepreneuriale. Des valeurs fortes et tangibles qui trouvent écho auprès des partenaires et consommateurs, sans doute eux aussi lassés de relations économiques anonymes et stériles.
Oui, nous avons détecté les signaux faibles d’une économie du faire qui pourrait redonner une couleur productive à nos villes. Au-delà du faire, elle est porteuse de sens, d’un nouveau modèle entrepreneurial fondée sur la collaboration et le dialogue avec l’ensemble de la chaîne économique.
Il est désormais temps de donner de la visibilité à ces pionniers, mais surtout de leur donner les moyens d’exister au cœur de la ville et de développer leur écosystème ouvert. Ils ont besoin de lieux pour se développer souplement, mais aussi pour se croiser et échanger, entre eux et le reste de la cité.
Donnons leur des lieux pour croître et essaimer.
Par les membres de l’atelier : Sylvain Grisot (coordination), Alexandra Fresse-Eliazord, Laurent Ferrero, Sébastien Lambert, François Petit, Simon Ducasse