Érik Neveu et la permanence des mouvements sociaux

Conférence-débat du jeudi 12 mars 2015, à l’Insula Café

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Depuis près de 20 ans, Érik Neveu dissèque les tumultes sociaux dans son livre « Sociologie des mouvements sociaux« , régulièrement mis à jour (éditions La Découverte, sixième édition, janvier 2015). Malgré l’émergence de nouvelles contestations, radicales et/ou numériques, le sociologue y réaffirme une certaine permanence. Il s’en est expliqué devant une quarantaine d’adhérents de l’Institut Kervégan lors d’un débat organisé mi-mars à l’Insula Café (Nantes).

C’est un paradoxe que met en lumière le sociologue Érik Neveu. Le nombre de jours non travaillés est en chute libre en France depuis 40 ans avec en 2012 seulement 1,3% des entreprises de dix salariés ou plus qui ont connu une grève, selon les dernières données disponibles. Pourtant, « quand on voit le nombre et la diversité des manifestations déclarées dans les grandes villes [françaises], c’est stupéfiant! » s’exclame t-il.

Au-delà de la définition du mouvement social (« l’agir ensemble », voir vidéo ci-dessous), c’est l’analyse des acteurs impliqués qui est intéressante. « La probabilité de se mobiliser est grande pour certains groupes [sociaux], petite pour d’autres » fait remarquer celui qui enseigne à Sciences Po Rennes. On peut penser aux fonctionnaires, aux étudiants, aux routiers ou aux agriculteurs… « En même temps, on a tous écrit dans nos bouquins: vous ne verrez jamais les notaires manifester ! », avoue t-il avec humour.

En réalité, le trait commun de ces collectifs est la mobilisation « contre » un adversaire désigné (ou une mesure le symbolisant) qui nait d’une frustration sociale. Le répertoire des actions de protestation ne varie finalement que peu au cours du temps – le sociologue étasunien Charles Tilly, décédé en 2008, les a classées en six catégories, opérantes depuis 1850.

Des partis politiques à la remorque des mouvements sociaux ?

Ce qui fait dire à Érik Neveu que « l’opposition entre anciens et nouveaux mouvements sociaux est très intéressante mais… fausse ». Le numérique, même si il fait émerger de nouveaux savoir-faire pour faire savoir (typiquement le mot-dièse ou hashtag), n’échappe pas aux canons du mouvement social : le nombre de personnes mobilisées doit être suffisant et un rapport de force doit être créé.

Quant à la radicalité de certaines protestations modernes, elle est loin d’être inédite selon le sociologue. Une participante abonde dans son sens et énumère les « similitudes entre les « zadistes » [qui provient du néologisme zone à défendre (ZAD), ndr] en 2015 et les militants du plateau du Larzac dans les années 1970 ». Un spectateur s’interroge quant à lui sur un renversement de mécanique, « on a l’impression qu’auparavant les mouvements sociaux étaient à la remorque des partis, alors qu’aujourd’hui les partis leur courent après ».

L’auteur de la « Sociologie des mouvements sociaux » relativise cette observation en mettant en avant le rôle déterminant des pouvoirs publics : « L’État a toujours eu à sa disposition un véritable clavier pour influer sur les mouvements sociaux ».

Par Thibault Dumas, journaliste.

 

Interview vidéo de Érik Neveu

Réalisation : Thibault Dumas.

Le débat en photos

Photos : © Thibault Dumas.