Article de Charles DAUVERNE
Tribune Libre #56, sept. 2014
Entre les inquiétudes légitimes face à un avenir professionnel « devenu incertain » des artistes, et la nécessité de la tenue des comptes publics par les autorités successives, le régime de l’intermittence survit au gré des aléas conjoncturels et des arbitrages budgétaires.
Suite aux étapes mouvementées de ce régime, hérité du secteur du Cinéma d’avant la seconde Guerre mondiale, jusqu’à aujourd’hui, en passant par l’acmé de l’été 2003 et les crispations respectives qui en sont nées, il est utile de replacer quelques aspects de ce dossier sensible -toujours en cours- dans le contexte d’une nation européenne cultivant son exception culturelle.
Approche économiste
A l’heure où les grands équilibres économiques mondiaux s’évaluent en terme de puissance de pays (émergents notamment) à inonder le monde de leurs produits et biens culturels, il peut être utile d’aborder quelques questions qui renvoient à la fois au passé récent (Trente glorieuses), et à une nouvelle configuration économique, irrémédiablement mondialisée :
- Certains secteurs « plus créatifs » (en réalité tout spectacle vivant est créatif, y compris une interprétation de musique ou pièce du passé) génèrent plus de valeur ajoutée que d’autres (cf crise du disque/Internet)
- Les Industries culturelles se calquent de plus en plus sur les segments de marchés émergents et dont les supports sont dématérialisés: l’économie du numérique en ligne, ou Flux.
- Par ailleurs, tous les arts (spectacle vivant & autres) sont sujets aux phénomènes de mode… et autres aléas : institutionnalisation ou au contraire contre-culture « Underground »; obsolescence ou désintérêt des publics (phénomènes dû à l’usure du temps, à « l’académisme ») ou plus prosaïquement, aux baisses de revenus des spectateurs, agents économiques de la demande…
Approche humaniste
Plus de dix ans après la première crise de l’intermittence (Krisis : moment de la décision), aucune décision durable, n’a été instaurée (ni même sérieusement pensée semble-t-il) pour y remédier. Re-médier, justement : trouver une nouvelle médiation entre les protagonistes –on oserait dire les acteurs- tant les scénarios successifs ont pris depuis 2003, l’allure d’un théâtre d’ombres et de dupes. L’orientation de mesures techniques : durée de cotisation minima, délai de carence, plafonnement d’indemnisation… sont révélatrices d’un dessein sous-jacent ; exemple : Vouloir limiter/supprimer la spécificité de ce régime indique une direction, quand dans le même temps, on ne toucherait pas au régime des travailleurs intérimaires pourtant plus déficitaire.
Alors face à l’attentisme de l’État, des artistes s’auto-organisent, au gré des contingences locales et de leurs imaginations en acte, n’hésitant pas à recourir, au mieux à des mutualisations (matériel, administration), au pire à des « petits boulots » non déclarés, pour le plus grand préjudice des cotisations sociales non recouvrées…par le régime général !
In fine, le débat sur la promotion de l’art vivant et ceux qui le créent, se condense en une question de fond, dans un pays qui se prévaut -si l’on a bien compris- d’être exceptionnel :
Dans quelles conditions économiques, l’art vivant peut-il s’évaluer à une offre comme une autre ? Sans prétendre tirer une quelconque « philosophie de cette histoire », force est de constater que le rapport de pouvoir n’est pas du côté des créateurs, mais des « créateurs » de plus-values financières. Il est de la responsabilité des politiques et des partenaires sociaux, de résoudre l’équation complexe de pérennisation des conditions d’une création originale et vivace, malgré le contexte d’une soi-disant injonction mondialisée à l’utilitarisme. Si l’État a encore un sens de progrès, alors ils doivent lui donner les moyens de ses idéaux. Au village économique global, Mac Luhan aurait décidément bien du mal aujourd’hui, à authentifier les jeunes pousses qui pour la plupart, ne demandent qu’à germer, croître, et embellir nos vies !
Charles DAUVERNE, Enseignant-consultant culturel