C’est la chute finale

Alors, transcender nos égoïsmes et se fixer quelques balises

 

Paru dans la Tribune Libre #40 (pdf, 572.69 Ko)
février 2011

 

Cela faisait un peu plus de 2 ans que s’était déclenché le «tsunami» financier qui devait dégonfler la bulle immobilière américaine, faire chavirer le modèle illusionniste d’un «dragon vert», et déstabiliser les fragiles mécanismes de solidarité européenne.

Le G 20 s’était réuni à Séoul et qu’importe que certains l’aient rebaptisé «G vain» la seule réalité qui comptait était d’un côté le dialogue «off» du G 2 (Etats-Unis/ Chine) et de l’autre une France coincée entre un 11 novembre et un remaniement dominical d’un pays qui semblait battre en retraite !

On était soi-disant en train de sortir de la crise et 2011 serait l’année de la reprise de la croissance. Mais de quelle crise et de quelle croissance parle-t-on ?

Dans les ténèbres de novembre les clients d’hier se demandaient pourquoi on cherchait si précocement à les «divertir» de réalités comptables angoissantes par un jeu de lumières et de vitrines décalées qui semblaient rejouer l’air du «tout va très bien Madame la marquise». Le Père Noël est une ordure ! Tout le monde le sait déjà depuis fort longtemps.

Dans les rues de Compiègne, des Conti désabusés cherchaient à oublier la farce du Cabinet de reclassement puis s’en allaient regarder à la télévision cette France footballistique conquérante qui inscrivait dans la légende une victoire historique outre-manche, que seules venaient ternir à la mi-temps les annonces des sponsors de l’équipe nationale parmi lesquels figurait en bonne place les fameux pneumatiques. Il est vrai que l’usine de Timisoara tournait à plein régime et que l’action boursière de l’entreprise se tenait fort bien, dopée par les perspectives de développement en Chine, au Brésil ou en Inde…

Au même moment un périodique professionnel décernait son prix de l’éthique 2010 à Florence Aubenas que son ouvrage «Le quai de Ouistreham» avait rendue incontournable aux yeux des «oublieux de la précarité» prêts à occulter de nouveau très vite ce monde de «sans emploi» où seules des heures sont à vendre.
Mais n’assistait-on pas, plus vraisemblablement, à une accélération des symptômes de malaises répétés d’un quinqua en état de «post-coma consumériste» que l’on a pensé, ou voulu laisser à penser, pouvoir assumer une compétition effrénée avec des puceaux affamés prêts à tout pour dévorer la chair.

C’est sans doute ce qui expliquait la perception dans le pays d’une vraie dépression collective allant bien plus loin que les sinistroses saisonnières, le sentiment de la chute finale d’une longue période aux équilibres imparfaits mais somme toute globalement rassurants. 1918 marqua l’apparition des Etats-Unis en tant que puissance mondiale, l’après-45 acta la fin de la notion de puissance pour la France et la Grande-Bretagne masquée en partie pendant 5O ans par le prisme colonial ou son frère jumeau l’hypocrisie de l’après décolonisation. 2008 symbolisera peut-être le début de la passation de témoin au niveau mondial et la vertigineuse fragilité des principaux pays européens pris individuellement et pourtant membres es qualité du G20. En ce début d’année 2011, l’Europe reste globalement vécue comme un continent définitivement vieux qu’une surcharge pondérale empêcherait de concourir dans un monde d’ultra-concurrence, coincé entre une préoccupation écologique indispensable mais insuffisamment appliquée à nos modes de vie, et les croissances matérielles exponentielles de pays trustant l’emploi dans tous les domaines symbolisant il y a encore peu notre révolution industrielle et post-industrielle. Et pourtant il ne peut pas y avoir comme seule alternative de choisir entre mourir seul tout de suite ou, collectivement, dans un futur plus ou moins proche, après épuisement de notre planète.

Alors ne nous faut-il pas un peu de volonté, transcender nos égoïsmes (mais est-ce trop demander) et se fixer quelques balises ?

Pour cela nous devons :

  • savoir faire plus et mieux d’Europe autour d’un projet politique revisité qui tienne compte réellement du monde de l’après 11 septembre, de la nouvelle donne depuis 20 ans au sein d’un continent décloisonné à défaut d’être réellement uni et des effets parfois déstabilisants des nouvelles technologies sur la notion d’appartenance.
  • intégrer que la zone Europe-Afrique doit être perçue comme l’un des grands blocs de continuité territoriale à l’échelle mondiale dont il serait vain de vouloir s’abstraire, chacun de ces blocs (parfois un seul pays pour les « BRIC »1 notamment) ne pouvant faire l’économie d’une prise en compte de l’extrême pauvreté.
  •  faire le deuil de Napoléon, tant dans notre rapport psychologique au monde autour du concept d’Etat-puissance que dans l’organisation de nos pouvoirs et le cloisonnement de nos compétences, et savoir reconnaitre les bienfaits d’un nouveau rôle d’influence.
  •  savoir discerner entre le fondamental et le négociable
  • savoir mobiliser les gouvernants et les gouvernés dans une relation apaisée et plus équilibrée qui tienne à la fois compte du passage à une nouvelle époque, celle de la fin des recettes globales des idéologies «totalisantes», tout en préservant une nécessaire écriture collective.

Les «30 glorieuses» et la gestion lâche des  «30 peureuses» ne nous facilitent sans doute pas une lecture sereine de l’époque. Elles nous ont un peu «formolisé» et le réveil de l’anesthésie est quelque peu nauséeux. Nous en avons même oublié que la démocratie n’est pas une évidence et qu’elle a plus besoin d’être vécue que protégée. Elle est le fruit d’un combat et non le ventre mou d’un esprit de tolérance. C’est en en prenant réellement conscience que nous pourrons répondre pied à pied à toute forme de provocation destinée à ridiculiser et à tout le moins discréditer les fondements de notre édifice.

Ou alors nous n’aurions plus qu’à emboiter le pas du « badaud du dimanche » du chansonnier Georgius qui «avec son petit galurin, son inséparable pépin,
déambule…»

Pour cela il nous faut sonder le coeur des Sages tels Stephane Hessel, co-rédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui de ses 93 ans
nous invite à «une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous».2

N’abandonnons pas l’Esprit des Lumières au détour du siècle du néon si aveuglant
qu’il confine aux ténèbres…

Alors, INDIGNEZ-VOUS et BONNE ANNEE 2011 !!!

1 (Brésil Russie Inde Chine)

2 in «Indignez-vous» de Stephane Hessel 2010 aux éditions Indigène