Comment décliner son «Européanité» ?
Paru dans la Tribune Libre #47 (pdf, 408 Ko)
août 2012
Qui suis-je ou bien ou vais-je ?
Le sulfureux débat sur l’identité nationale nous renvoie tout autant à notre représentation du monde tel qu’il bouge et à notre façon de nous y situer, qu’à une simple crise du partage de valeurs dans notre société. Les deux sont certes liés tant il est vrai que les mots de république et de citoyen, sont utilisés à toutes les sauces et que les mutations économiques et sociologiques ont particulièrement secoué notre référentiel du vivre ensemble.
De façon concomitante, ainsi que le rappelait récemment le professeur Franciszek Draus1 citant Emmanuel Berl, l’Europe doit pouvoir décliner son «Europénaïté», c’est-à-dire son niveau d’autonomie par l’action, et le rôle qu’elle entend avoir collectivement dans le monde.
Chaque nation européenne doit s’interroger dans ce contexte. La France ne peut faire exception. Or elle a sans doute été trop habituée à se percevoir dans un rôle messianique et aveuglée parfois par le discours de certains universalistes reposant sur l’illusion d’une liberté sans attaches. Or la multiplicité qui anime notre construction européenne nous interdit de considérer les identités comme passivement reçues.
Ainsi que le rappelle Mona Ozouf 2 «toute émancipation suppose une appartenance…, mais il ne doit pas y avoir d’appartenance qui ne permette à chaque instant de s’en dégager et il faut toujours ménager la possibilité d’une déprise ». C’est pour cela qu’il nous faut nous appuyer sur l’extraordinaire diversité anthropologique qui, selon, Emmanuel Todd, fait l’originalité de la culture française. Mais c’est aussi pour cela qu’il faut se méfier de ceux qu’il appelle «les globalisateurs fous» ou les «gens de la nation dépassée».
Nous avons quitté les simplifications hâtives de la guerre froide qui servirent de cadre au Marché commun puis à la Communauté européenne. Nous sommes à présent au stade de l’Union Européenne à la fois d’esprit plus intégrateur et de pratique très négociée. La mondialisation a remplacé les fausses évidences de la période « hors sol » du monde occidental pendant les trente glorieuses puis les trente peureuses que nous ne pouvons pas laisser à l’Histoire simplement annonciatrices d’une mort à crédit.
Par delà les difficultés économiques, c’est en tenant compte de cette nouvelle donne que L’Europe et la société française, pourront éviter l’écueil du développement des nationalismes et des communautarismes. Un architecte, avant de faire sa proposition, vous demandera quel type de maison vous souhaitez et ne se contentera pas de votre simple déclaration d’intention. Il en va de même des constructions humaines collectives. Or l’Europe doit avant tout être cela si elle aspire à une forme de durabilité dans ce XXIème siècle qui devrait être à peine moins perturbé que le précédent. C’est aussi à cette condition qu’elle pourra être perçu comme protectrice apportant une réponse au libre-échange débridé.
Pour atteindre cet objectif, il faut se méfier de l’idéologie abstraite de l’unité. Réduite à la seule citoyenneté, et obtenue par abstraction des différences, elle est à la fois très puissante et très pauvre.
De la même manière, nous sommes confrontés à la recherche d’un subtil équilibre entre le respect de la diversité et le fondement d’un vivre ensemble reposant sur un socle partagé et solidement ancré dans des principes fondamentaux admis et reconnus par tous. Il ne s’agit donc pas de brader l’idéal républicain mais de le faire vivre au rythme de notre époque.