Paru dans la Tribune Libre #43 (pdf, 679.73 Ko)
août 2011
Angoisse de la mort, obsession de la maladie, refus du vieillissement, peur de l’avenir, trouille de son voisin, panique du nucléaire, crainte du chômage, rejet de l’incertitude, trouble du noir, horreur du vide, terreur des catastrophes naturelles, effroi des agressions, frousse de l’étranger, hantise des insomnies, obsession des vols, appréhension de tomber en panne dans un endroit isolé, inquiétude pour ses enfants, phobie des araignées !
Mais de quoi avons-nous réellement peur ?
De ce lourd déclassement social que l’on nous annonce comme massif à l’aune d’une société salariale en perdition ? De l’émergence d’une société néo-patrimoniale injuste ? D’un tsunami humain planétaire brassant les populations au gré de migrations économiques redistribuant la charge de la misère indispensable à l’exploitation de l’homme par l’homme. Avons-nous été à ce point gâtés pour croire naïvement à une répartition générale du bonheur par la consommation de masse. Nous ne voulions pas «perdre notre vie à la gagner» et nous voici en train de multiplier les temps non choisis qui peu ou prou ont absorbé l’essentiel du temps gagné par la loi des 35h sensée par ailleurs être responsable de tous nos maux et de notre perte de compétitivité. Le travail en miettes était décrié bien avant la généralisation des temps partiels non choisis et cela fait belle lurette «qu’elle court, elle court la banlieue» !
A la mi-mai des «indignés», jeunes pour la plupart mais pas seulement, campaient Puerta del Sol à Madrid. Sur une photo publiée par un quotidien français on pouvait apercevoir une pancarte sur laquelle était écrit «Wir haben keine Angst»*. Cette interpellation en allemand au cœur de la capitale espagnole, et cette jeunesse terriblement vivante semblant vouloir pousser les murs d’une place élégante et austère nous placent au cœur d’un questionnement clair pour la vieille Europe, celui de la libération de ses forces de vie. Par la proximité géographique et la symbolique de la place, il est tentant d’établir un rapprochement hâtif avec le printemps des révolutions arabes. Certes il est possible de trouver des points communs, de même que les dirigeants de tous les autres pays européens ne devraient pas sous-estimer la portée de l’un des messages principaux adressés par la Puerta del Sol à la classe politique «Vous ne nous représentez pas».
Même si, selon la formule de René Char, «notre héritage n’est précédé d’aucun testament» et qu’il appartient à chaque génération de dessiner un horizon, force est de constater les efforts limités consentis par leurs aînés pour permettre aux plus jeunes générations de se tracer des perspectives.
Les berceaux braillards de l’immédiat après-guerre ne cessent en effet de clamer leur éternelle jeunesse, de conserver les places de pouvoir, de gérer leur patrimoine et de parcourir le monde tant il est clair que désormais les voyages forment la séniorité de cette génération unique, sans être forcément inique, qui semble vouloir matérialiser le «dur désir de durer» évoqué par Eluard.
Il ne s’agit bien évidemment pas que d’un problème de génération, le dire serait nous renvoyer aux belles illusions théâtrales de la fin des années 60. Encore que…
Ne conviendrait-il pas à nouveau d’être raisonnable en demandant l’impossible, c’est-à-dire tout simplement de vivre. C’est en effet une pulsion de vie qui doit s’exprimer allant bien au-delà de la double dictature des objets et du virtuel. Que la vie fasse sens par le travail ne doit donc pas être interprété comme un message réactionnaire. Par delà la compétition mondiale qui prend des formes souvent désespérantes, l’Europe est confrontée à un véritable défi de survie, non pas en tant qu’institution mais en tant qu’espace humain partagé.
La girafe Sophie qui vient de fêter ses 50 ans fût le résultat d’une histoire simple sans étude de marché ou d’enquête clientèle poussée mais simplement le fruit de la créativité d’un chef d’atelier spécialiste de la transformation de la sève de l’hévéa et du rotomoulage. Mais c’est aussi le seul jouet qui fasse appel aux cinq sens : la douceur du contact au toucher avec le caoutchouc, l’ouïe avec le fameux «pouë », la vue avec les tâches sombres et claires que distingue mieux le nourrisson, le goût particulier de la girafe et enfin son physique qui, avec son cou et ses longues jambes fait d’elle un objet idéal pour la préhension.
La survie passe donc par une intense envie de vivre, comme semble nous y convier les économistes Karine Berger et Valérie Rabault en assurant que «les Trente Glorieuses sont devant nous»**.
Comment y parvenir quand on refuse à la sève de monter et que l’on semble se complaire dans une vision post-moderniste du romantisme et cela même si une chose n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle va mourir.