paru dans la Tribune Libre #36 (pdf, 365.24 Ko)
juin 2010
La pureté de l’air est un vieux souvenir, la qualité des eaux inquiète là où elles ne manquent pas, la malbouffe s’est installée de façon planétaire là où les mangeoires sont pleines, la raréfaction des ressources naturelles menace et surtout, surtout, il y a le réchauffement climatique. La planète doit se mobiliser , il est urgent d’intervenir pour changer nos modes de consommation. J’enfourche mon vélo et fonce au marché bio retrouver mon petit producteur si vrai et si nature… Pourquoi ce fichu sommet de Copenhague a-t-il échoué ? La raison aurait dû l’emporter ! Les télévisions étaient là !
Ah oui vraiment ? Mais quelle Raison et quelles raisons ? Pourquoi vouloir imposer à des pays émergents, dont le sous-développement contribuait à garantir notre aisance, le choix de se lancer à leur tour dans ce pacte avec le diable qui garantit puissance et aisance avant qu’il n’emprisonne définitivement votre âme.
Michel SERRES compare la crise actuelle à «une faille géante au niveau des plaques basses qui se meuvent lentement et cassent tout à coup dans les abysses tectoniques invisibles.» Ce serait, selon lui, «une erreur d’en localiser l’épicentre en surface, dans le visible financier et économique. Il se situe plus profond, dans le choix des valeurs d’orientation constituant l’ethos d’un type de société, dans le contresens de croire qu’une société ne vit que de pain et de jeux, d’économie et de spectacle, de pouvoir d’achat et de médias» (cf Le Monde mars 2010 G.COQ / J.DELORS / J. LE GOFF). Formulé différemment on peut reprendre les propos d’Alain SUPIOT (« L’Esprit de Philadelphie » – Seuil 2010) qui estime que «confondre la mesure et l’évaluation condamne à perdre le sens de la mesure».
Car le défi qui se présente à nous est d’une bien plus grande ampleur que la simple adaptation d’un style de vie. C’est déjà certes ambitieux et contraignant mais ce n’est rien à côté de l’angoissante question qui se pose. Ne doit-on changer d’habitudes que parce que notre planète ne peut plus supporter notre folie collective ou parce qu’elles contiennent en elles-mêmes des germes mortifères, gangrénant le corps social, étouffant le vivre ensemble en créant un ordre normatif qui place les choses au-dessus des hommes.
Mais peu importe d’une certaine manière car ainsi que le souligne le philosophe Dominique BOURG (in « Acteurs publics » avril 2010) «avec les ressources naturelles rares et chères, le type d’industrie que nous connaissons aujourd’hui, de production de masse, n’a plus aucun sens. Le seul moyen de maintenir une certaine rentabilité, c’est de passer à une économie de fonctionnalité (où) l’objectif de celui qui produit sera de maximiser le taux d’usage de son produit ».
Ce constat conjugué à la fin du «nomadisme extrême» aura de lui-même des effets sur ce corps social.
Il ne s’agit bien évidemment pas de tomber dans un pseudo-angélisme simpliste, ni une rengaine nostalgique d’un passé que l’on présenterait comme naturellement idyllique. La seule chose qu’il convienne simplement d’admettre comme signal alarmant est que le monde semble divisé en deux grandes catégories : la première très minoritaire, celle des démocraties où la reconnaissance sans cesse accentuée de la primauté de l’individuel sur le collectif conduit à une atomisation des relations sociales, à l’intolérance de l’autre, à la recherche de la satisfaction immédiate de pulsions existentielles, de possessions illusoires ; la seconde beaucoup plus nombreuse et assez disparate, des dictatures ou, à tout le moins, régimes autoritaires, qui sur des fondements religieux ou traditionnels noient la personne humaine dans le magma informe du groupe guidé par une communauté de vie improbable.
Dans ce contexte que peut encore signifier l’idée de progrès ? Comment appréhender le terrible mouvement dialectique «intelligence collective partagée/rapport de forces» ? L’être humain serait donc bien l’espèce à protéger… d’elle-même et par elle-même. Il n’y a sans doute rien de bien nouveau sous le soleil mais il y a désormais urgence à, écoutant CAMUS, «installer notre lucidité au milieu de ce qui la nie, la seule pensée qui libère l’esprit ne pouvant être que celle qui le laisse seul , certain de ses limites et de sa fin prochaine».
Il convient donc de se débarrasser du concept si commodément fourre-tout du développement durable, forcément durable, pour affronter les exigences beaucoup plus complexes du construire ensemble dans le respect de la dignité humaine.
Il y a semble t-il urgence comme le souligne le Médiateur de la République dans son dernier rapport intitulé précisément «Reconstruire du vivre ensemble» où il souligne la vitesse et la prégnance avec lesquelles le sentiment d’injustice se diffuse dans la société, générant tension, iniquité, inquiétude et banalisation de la violence.
Emmanuel MOUNIER suggérait déjà en 1936 de «régler la consommation sur une éthique des besoins humains replacée dans la perspective totale de la personne». Ce devrait être le combat majeur des démocraties qui les conduiraient à assumer des positions parfois plus tranchées. Ce pourrait être une vraie « Utopie » européenne au service de la paix, socle à tout jamais fondateur de l’édifice.
Vous allez peut-être me dire «quel lien avec l’Institut KERVEGAN» ?
Tout d’abord celui de mettre en évidence l’intérêt de poursuivre notre réflexion sur les évolutions sociétales tout autant que sur les enjeux de l’attractivité d’une aire métropolitaine. Ceci fût rappelé par plusieurs d’entre nous lors de l’Assemblée Générale du 10 Mars dernier et est en cela conforme aux fondamentaux de l’Institut et à son évolution d’il y a environ dix ans. Celle-ci reflétait en effet une volonté de poursuivre ses travaux sur l’évolution de la Cité, mais aussi celle de la société en général.
L’atelier Logement actuellement en cours de production, en est une parfaite illustration qui conjugue le questionnement sur l’étalement urbain à celui du rapport à l’autre (son voisin) souvent confronté à l’expression de nos rêves.
De la même façon une réflexion plus globale sur les phénomènes croissants de pauvreté qui traversent notre société doit être naturellement au coeur de nos préoccupations.
Le phénomène de l’abstentionnisme électoral interpelle également sur les modalités de participation des citoyens à la vie publique.
D’une façon plus large, il nous incombe de trouver un positionnement et une pertinence spécifique par rapport au travail du Conseil de Développement de Nantes Métropole afin de, reprenant les termes de Jean-Joseph REGENT «poursuivre une contribution à l’harmonie sociale et (justement) à l’intelligence collective».