Que reste–t-il de leurs beaux jours ?

Paru dans la Tribune Libre #23
mai 2003

 

Quel entrain à nier mai 68 de la part de nos grands responsables et d’ailleurs pourquoi parler d’héritage à propos de ce qui fait partie de l’histoire? Pour le taxer plus sans doute?

J’étais trop jeune pour avoir pu savourer alors j’en suis jaloux. Ils ont osé, ils étaient mes parents et ils ont fait ce dont je rêve et que je n’ose plus faire, coincé entre la télé, les radars, les caméras et le chômage. Alors il me reste les frustrations de la liberté perdue librement et démocratiquement. Mais en avoir conscience même confusément est déjà la preuve que la graine a germé. D’ailleurs pour un dirigeant, anachronique dès son plus jeune âge, l’ombre de l’arbre en devenir fait déjà peur. N’ayez crainte l’ordre créé par vous sera bousculé, quoique vous fassiez.

Non seulement 68 n’est pas mort mais il ne s’est jamais aussi bien porté. 68 n’a pas été une sorte de fiesta comme le disent de bon cœur en serrant les poings de rage ceux qui n’en ont pas profité. 68 a été un pas, un spasme vers ce qui porte l’homme à la conquête de sa liberté. Que çà plaise ou non les hommes ne sont pas fait pour être des esclaves, des larbins ou des pions taxables et punissables à merci de celui qui porte la casquette. Un jour viendra où les rase-mottes qui se réfugient derrière le flic ou la loi seront obligés aussi de se cacher. Mai 68 a été une étape un peu plus bruyante que les autres sur ce trajet long et sinueux semé de rois et de dictateurs de tous poils.

Mai 68 a surement fait pour l’Europe plus que tous ces traités conçus avant tout pour servir le dieu argent de quelques-uns, plus que ces administrations omniscientes si évidemment indispensables et que nous avons la faiblesse de leur laisser croire. 68 a révélé la communauté de pensée qui existait simultanément au sein des différents peuples d’Europe pour toute une classe d’âge.

En Mai les dogmes et les religions de toutes natures ont été ébranlés et c’est autour de çà que la conscience européenne s’est forgée. Surtout que les peuples ne reprennent pas conscience de leur identité commune. Pourtant ce monde que vous avez construit ensuite sans écouter le bruit du vent, ne le sait pas, ne veut pas le savoir, mais il est ancien. Ancien comme l’empire qui a suivi la révolution. La confusion de la droite et de la gauche est une illusion, les deux existent bien distincts seuls les chefs sont les mêmes. Die Linke en Allemagne traduit par avance cette évolution par opposition à la pseudo social-pseudo démocratie.

Mai a fait tomber les masques : il y a ceux qui croient en la liberté et ceux qui luttent contre. Ceux-ci sont condamnés ils subiront le même sort que le PCF. Il y a eu ceux qui ont osé vivre et ceux qui ont regretté de ne pas l’avoir fait. Contrairement à 1789 il n’y a pas eu de récupération politique, la crise a été trop brève.

En Mai les humains ont pris conscience que les interdits des religions étaient bons pour les orties, que seules comptaient les minutes de vie qui passent.

En Mai 68 il y avait Che Guevara et Alexander Dubcek. Ces hommes ont aussi semé des graines. Elles ont essaimé et pas seulement en Europe.

Depuis communisme stalinien et capitalisme ne sont plus des modèles. C’est évident pour le bloc de l’est et ses bégaiements nationalistes mais aussi pour les USA qui seraient rayés de l’avenir pour des siècles et des siècles si demain ils devaient payer leurs dettes. Ils vivent à crédit sur le dos des autres quand ils ne sont pas carrément sur le dos des autres. Cette gestion est à la fois désastreuse et une sorte d’exemple admirable pour la droite. En parallèle dans une sorte de paradoxe, celle-ci forge en France et en Europe l’idée selon laquelle la gauche est incapable de gouverner. Cette idée est juste quand la gauche n’est qu’une mauvaise copie de la droite. Elle est fausse en Amérique du sud où la gauche a rétabli l’équilibre financier de plusieurs pays plongés dans le chaos par des gouvernants absurdes, simplement en restituant la confiance et l’espoir car bien sûr l’homme prime le territoire. L’Amérique du sud a hérité de trois cultures qui ont fusionnées une culture ancestrale communautaire amérindienne, un catholicisme militant et le communisme porté par Guevara et les poètes associés dans un anti hégémonisme américain. Et puis il y a Castro. Échec sans doute, mais est-ce à cause des idées ou des USA qui ont étranglé ce pays depuis des dizaines d’années en une vengeance légitime devenue prétexte selon un mécanisme désormais classique? Souvenons nous que les cubains ont cependant la même espérance de vie que nous, un taux d’analphabétisme bien plus bas que le notre Un nouveau modèle social est peut-être en train d’émerger en Amérique du sud, enfin basé sur l’humanisme.

En Mai les sourires de Dubcek et de Guevara, d’une bien autre sincérité que celle de nos stars médiatiques, ont séduit les hommes. Ils ont bousculé chars et dollar en un même combat.

En Mai 68 c’est une pulsion de liberté qui a émergé qui a été signifiée aux élites qui veulent n’en voir qu’un mauvais souvenir. Les images d’avant 68 semblent pourtant désuètes par l’allure guindée, rigide des attitudes mais pas uniquement du fait de la qualité technique. Culturellement c’est bien une illégitimité des hiérarchies qui est entrée dans les esprits. Depuis toujours le rebelle existe mais là le concept s’est étendu comme une trainée de poudre. Duchamp et Soupault démocratisés. Une génération entière a, un instant d’histoire, entrevu que la normalité c’est simplement refuser ce qui est imposé, refuser le système qui ne respecte pas l’humain en tant qu’individu. Si cette image fugace a été perçue ne doutons pas quelle demeure dans les inconscients. Elle reviendra. Elle est éternelle. 68 l’a juste remise au goût du jour. Le néo-conservatisme est une sorte d’application du principe de précaution vis-à-vis de cette idée hautement subversive qui est que l’homme est individu respectable et responsable. Celui-là butte sur le web, espace de liberté reflet de l’humain underground, souvent compris comme une remise en cause de l’ordre établi.

Faute de savoir lire le passé, la crise de modèle social que nous vivons est très profonde. Le fossé se creuse chaque jour entre ceux qui ne décident pas, largement majoritaires, et les autres qui ne savent faire autre chose que se raidir devant tant d’incompréhension. Nous ne croyons pas au fond à l’argent comme objectif, surtout ceux qui triment et ont juste le droit de suivre les tribulations de leurs représentants sur des yachts de luxe ou cumuler toutes sortes de fonctions éternelles aux succès toujours plus évidents. Nous savons bien que nous aurons un jour tous l’air malin dans nos cercueils qu’ils aient 2 ou 3 couches de vernis selon le niveau social, que le gardien du cimetière soit du secteur privé ou public.

La révolution de 1789 a donné un empereur. Mais un monde nouveau est né ensuite  qui a généré une immense violence par le choc des dogmes servis par la technologie. Mai 68 de bien plus petite envergure a généré de la paix. L’histoire avance par touches, par approximations successives. Mais elle avance toujours dans le sens de plus humanité même si les apparences peuvent paraître trompeuses. Alors il faut trouver quelque chose d’innovant et ne pas se réfugier dans le convenu, dans ce qu’on sait faire, mais qui n‘a jamais rien démontré si ce n’est qu’il ne marche pas.