Paru dans la Tribune Libre #10
février 2007
Fidèle aux dîners Kervégan, j’ai apprécié la saveur particulière du dernier, organisé dans un lieu emblématique de la culture ouvrière, la Maison des Hommes et des Techniques, avec un invité atypique, Hakim el Karoui.
Dommage que la formule n’ait pas attiré plus de monde, le symbole était intéressant et affichait une vraie modernité, moins tapageuse que celle du chantier de l’île de Nantes au milieu duquel nous étions échoués, mais plus porteuse de sens.
Hakim El Karoui est un garçon brillant, doté d’un CV flatteur et sans doute promis à un bel avenir. Intellectuel libéral qu’on peut qualifier de néo-républicain et situer dans la « bande à Todd », il vient d’écrire un livre original (« l’avenir d’une exception ») dont l’idée maîtresse est celle de la nécessité d’un nouveau protectionnisme à l’échelle européenne.
Il a parlé longuement (un peu trop) et pourtant on aurait volontiers prolongé la conversation avec lui dans un bistrot du coin pour lui poser quelques questions supplémentaires.
Par exemple :
– Pourquoi ce vilain mot de protectionnisme ? Même si on comprend bien l’idée et même si on l’approuve, elle est portée par un mot connoté péjorativement. On l’associe à isolationnisme, à repli sur soi et l’ajout du qualificatif européen ne suffit pas à rendre l’expression séduisante.
– Est-ce que le concept ne risque pas de cacher le bon vieux ragoût du « protectionnisme français » ? D’autres pays sont aussi exposés que nous à la mondialisation et pourtant ils s’adaptent mieux avec un taux de chômage beaucoup plus faible. Nos soucis sont-ils toujours liés à la mondialisation ou à des causes plus spécifiquement nationales ?
– Est-ce qu’on n’est pas en train de nous refaire le coup de la fracture sociale, autre concept inventé par Emmanuel Todd ? Une idée intellectuellement séduisante, mais tellement récupérée qu’elle a fini par sombrer dans les pires travers du show-biz culturel. Il y a désormais des fractures partout : urbaine, numérique… Le concept a finalement peu profité aux pauvres, le protectionnisme peut suivre le même chemin.
Et bien d’autres questions encore… mais l’intérêt de Karoui va bien au-delà de son bouquin. Ce jeune homme est à la fois représentatif d’une nouvelle génération mais aussi de la fameuse « diversité » culturelle. Il a une approche tout à fait intéressante puisqu’elle est nourrie de la culture française traditionnelle mais aussi d’apports de civilisations extérieures. Cette génération, qu’elle sorte de l’ENA ou des studios de production de Rap, est une chance extraordinaire qu’il ne faut pas gâcher. Hakim El Karoui est un des éléments de cette élite montante qui va surprendre… si elle veut bien s’engager dans la vie publique. Après les cabinets ministériels, Hakim El Karoui s’est réfugié… à la banque Rotschild. Y pantouflera-t’il longtemps ou reviendra-t’il en politique ? Pompidou, Emmanuelli et bien d’autres ont suivi le même parcours, la grande banque mène à tout…
Mais finalement la question qu’on aurait aimé lui poser concerne son passage chez Raffarin. Puisqu’il a été la « plume » d’un Premier Ministre célèbre pour ses formules on aurait aimé lui poser la question ultime qui taraudait les convives.
« Est-ce que c’est à vous qu’on doit la raffarinade la plus célèbre : La route est droite mais la pente est forte ? »