Le vieillissement de la société et le bouleversement des codes sociaux
Paru dans la Tribune Libre #15
juillet 2007
De quand date cette expression qui voue le vieux à un irrémédiable et funeste destin ? Probablement depuis toujours…
Le vieux Cro-magnon taillant son silex au coin du feu de la grotte devrait être traité de la sorte par les plus jeunes de son groupe. Et depuis des milliers d’années, les âges ont été différenciés par fonctions, fondant une organisation sociale (avec des variantes géographiques et culturelles bien sur) qui fait de la jeunesse le synonyme de la beauté, de la vitalité… et de la vieillesse, celui de la laideur et de la décrépitude. Dans le meilleur des cas, la vieillesse peut être assimilée à la sagesse et la jeunesse à l’irresponsabilité, mais le sage est toujours chenu et courbé quand le jeune est vif et séduisant. Évidemment, la biologie y est pour quelque chose et il y a quelques règles de base dont on ne peut pas s’affranchir.
Et pourtant… On a le sentiment qu’après une longue période de cloisonnement des âges, on entre peu à peu dans celui de la confusion. On gagne régulièrement un peu d’âge sur la vie et petit à petit les configurations sociales changent. On peut vivre plusieurs vies là où il n’y avait normalement que l’espace d’une seule. On se marie à 25, on fait des enfants, on divorce à 55, on se remarie, on refait des enfants et ainsi de suite… Les notaires voient arriver dans leurs études de sémillants couples de 75 ans qui ont des projets immobiliers. Les jeunes retraités créent des entreprises ou partent faire de l’humanitaire au bout du monde. Sans parler des organismes de rencontres (et de quelques progrès de la médecine) qui permettent à la vie amoureuse de se prolonger bien au-delà de la limite du célèbre ticket de Romain Gary*
Tout le monde parle pourtant de vieillissement de la société mais comme la durée de vie s’allonge, peut-être qu’en fait, la société… rajeunit. Les statisticiens nous inondent de chiffres et nous démontrent que la part des « sexagénaires » (et plus) va bientôt atteindre le tiers de la population. Et alors ? est-ce que vivre plus longtemps est une chance ou un handicap ? Est-ce qu’un sexagénaire d’aujourd’hui qui monte des cols alpestres en plein été, qui danse des heures entières et qui se se fait nomade en partant découvrir le monde avec son camping-car a quelque chose à voir avec son homologue des années soixante ?
Pourquoi transformer un espoir en menace sociale ?
Bien sur, le grand âge pose des problèmes de santé mais c’est le cas depuis toujours. On oublie simplement cette évidence : l’âge du grand âge recule.
Disparition ou reconfiguration des âges ? Les médecins objectent que tout cela c’est du pipeau sociologique et que les limites biologiques, même si elles s’étirent, dictent toujours leur loi. « Vous avez raison, docteur… mais tout de même, est-ce que quelque chose n’a pas changé ? »
Est-ce que Corneille ferait toujours dire à Dom Diègue « ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie » (transformée par des générations de lycéens en « vieilles fesses ennemies » pour bien marquer le lien avec le délabrement physique) pour marquer l’impuissance du vieillard à venger son honneur bafoué ?
Est-ce que la vieillesse est toujours synonyme de sagesse quand les bals de retraités donnent lieu aux même bonnes vieilles bagarres qui sont normalement l’apanage des jeunes mâles se disputant les compagnes ?
Pourquoi un sportif qui cesse son activité à 30 ans est-il qualifié de jeune retraité quand des musiciens de 65 ans sont encore considérés comme des porte-paroles d’une (relative) rébellion** ?
« Franchement, docteur, vous y comprenez quelque chose ? Les enfants savent tout et leurs grands-parents les écoutent ! Le viagra transforme les barbons en Don Juan !, Mais où sont les catégories d’antan ? »
Décidément, nous vivons jeunes de plus en plus vieux !
