Paru dans la Tribune Libre #17
octobre 2007
Dans l’ordre culturel, l’année 2007 nantaise est marquée par deux événements. L’un est un succès indiscutable : la rénovation du Château des Ducs couplée avec la mise en place d’une nouvelle muséographie. L’autre : Estuaire 2007, plus discuté, nécessairement moins clair dans sa définition aussi, une bonne idée à n’en pas douter, une grande ambition.
Mais quelles réflexions appelle-t-il, maintenant que l’été passé, nous ne sommes plus au milieu du gué.
Ignorons les infortunes diverses, maison coulée, canard éclaté. Sur quoi portent les critiques ? Sur quoi d’autre pourraient-elles porter ?
Le budget global bien sûr, la faible transparence du projet au départ (mais on est habitué à la turbidité de l’eau du grand fleuve sauvage).
L’appel trop limité, tardif et formel aux associations culturelles pour qu’elles collaborent (pour les environnementales c’est autre chose; ça a eu lieu), c’est plus gênant. Avoir trop misé sur des grandes signatures, qu’on imagine sans doute chères (mais connait-on la répartition des masses budgétaires dans le détail ?) et peut-être dans une trop droite ligne esthétique (les attaques plus ou moins voilées se confondent là pour une part avec celles à destination du système français de « quasi-monopole d’État de l’innovation esthétique »; elles se concentrent aussi sur une critique de l’art-atmosphère, « l’art à l’état gazeux » comme dit Yves Michaud), alors qu’on aurait pu pour une part au moins, utiliser la même somme à un appel d’offres beaucoup plus large à destination des quelques centaines de créateurs professionnels de second ou troisième ordre.
Du coup les deux fois soixante kilomètres de rives auraient été un peu plus peuplés qu’ils ne le sont, les molécules de l’état gazeux un peu plus rapprochées. Sans compter l’appel à plus large encore – festif, ludique, gratuit ou presque – à une expression collective : les innombrables totems et installations qu’auraient pu placer les membres individuels ou collectifs de la compagnie « Les Nantais Associés (grand avenir et p’tits moyens) » dans une opération ESTUAIRE DES AMATEURS (ou ESTUARY OFF). Ce ne seraient pas des spécialistes ? De leur estuaire? Et les autres donc! Ils n’attireraient pas le pékin venu de loin ? Allez savoir à l’avance ! Mais au fait, à bien réfléchir, rien ne le leur interdisait. Alors, ce silence ?
C’est que le bât blesse là où on ne l’attendait pas. Peu de gens se sont risqués à compléter, contester, diversifier le dispositif officiel; mais moins par peur que par découragement ou même par effet anesthésique, soumis que nous avons tous été à un matraquage publicitaire assez intensif, qui semblait rendre inutile et même ridicule toute action, à côté de ces travaux d’Hercule qu’on nous annonçait. Mais il y a une question encore plus importante peut-être bien que difficile à définir. N’aurait-on pas trop misé, dans ESTUAIRE comme sur la scène culturelle française en général, sur les simulacres, le passage à l’acte, la réalisation matérielle de chaque cocasserie, forcément mangeuse d’euros au bout d’un moment ? Les meilleures chimères ne se font-elles pas dans la tête ? Les pensées n’en sont-ils pas les meilleurs vecteurs, plus que toutes les images en 2 ou 3 D ? Sans compter que certaines impertinences semblent pesamment réinventées. Ne recreusons pas un nouveau canal de la Martinière de la modernité culturelle! Désinvolture sur catalogue. Provocations au mètre avec retombées économiques garanties. Retour sur image, retour sur investissements.
Il y aurait pourtant à considérer, à côté de la lancinante question « réalisé ou pas réalisé », cette chose un peu oubliée: le simple et beaucoup plus facile passage de la pensée au mot. Et inversement. Les mots de l’estuaire réinventé(s) par tout le monde, on peut les slamer mais aussi les murmurer, les écrire, les chanter, les imprimer. Avec les techniques modernes, pour des sommes ridicules. Un millième du budget communication, une demi-jambe d’éléphant, un quart de rond-point. On rendrait lisible la pensée estuarienne, un discours-fleuve, fait de rogatons, de pamphlets, de déclarations d’amour, d’atmosphères suspendues, de contrastes grinçants. Ce serait le vrai « Passage du Nord-Ouest »…
Mais tout se passe comme si les organisateurs des images avaient un peu peur des mots quand ils n’étaient pas les leurs et outil de réclame. Qu’importe, on ne résiste pas nous-mêmes à l’envie. Et sans budget pré-affecté.
Libérons l’imagination ligérienne! Pourquoi ne pas faire un grand concours des « avatars » (au sens NTI) d’Estuaire 2007.
Voici quelques idées à populariser, – sans les réaliser – : baliser en profondeur le cours sous-marin de la Loire qui tourne vers le Sud et Noirmoutier; penser peut-être à un phare sous-marin de bonne venue. Ne pas oublier une guinguette subaquatique « Au vieux scaphandrier ». – ouverture d’un bar viking face à Saint-Nazaire, sur l’ilot de Bilho, là où stationnèrent jadis certains de leurs ascendants. – sculpter le bouchon vaseux le temps d’une marée basse. -construction d’une centrale nucléaire en trompe-l’oeil au Carnet avec visite de la chapelle attenante dédiée à Notre-Dame de la Dangerosité. – Imité du franchissement à la nage du Fleuve Jaune par Mao, traversée de la Loire à Nantes par la plus grande flotte de pédalos jamais vue en France, avec à bord les corps constitués. Vous les voyez, n¹est-ce pas. Pas besoin donc de payer pour « faire vrai ». Second Life, Second Estuary, subventionné en lindendollars beaucoup moins onéreux. Soyons encore plus audacieux : et d’avance préparons dans nos têtes et autour des tables de bistro les prochains méga-événements. Sollicitons dès maintenant l’intelligence collective pour penser à la succession d’Estuaire. Pourquoi pas, utilisant bientôt en leur soixante-dixième anniversaire nos ruines de blockhaus, un gigantesque Atlantic Wall revisited (ah bien oui, la pub se fera en anglais !) : le Mur de l’Atlantoc, les idées foisonnent déjà, on entend leur murmure. Propositions carnavalesques bien venues aussi pour reboucher ludiquement l’énorme trou que vont faire au large d’Etel les dragues suceuses de Bouygues. Mais avec quelles délivres ?