Paru dans la Tribune Libre #21
mars 2008
Les villes de province sont un peu comme les plus de 50 ans (hommes ou femmes). Ils croient que la séduction réside dans l’air de jeunesse et de « branchitude » que leur vendent à prix d’or les marchands de savon (nom simplifié pour les vendeurs de produits cosmétiques ou les agences de communication). Ils ont tort. Le charme, c’est d’être soi-même.
Nantes succombe un peu à cette tentation depuis quelque temps. Pour vendre son image, elle pense qu’il faut la rajeunir et lui donner un air branché. Parfois ça marche avec les musiques nouvelles ou les Machines, parfois ça sent un peu le lifting bon marché avec un hangar à bananes déguisé en ramblas. Ça donne aussi des effets curieux : Nantes oublie l’Erdre, jugée trop traditionnelle (donc vieille) au profit d’une Loire qui serait le symbole de l’ouverture au Monde (donc jeune).
Pour la modernité, il faut aussi de grands débats sur l’urbanisme. Les architectes, et urbanistes ont en effet un statut particulier dans le microcosme politico-administratif : ils sont un peu comme les stars du rock, détenteurs du droit de proférer des banalités, pourvu que ce soit fait avec talent. Le public est conquis d’avance et en redemande.
C’est ainsi que naît peu à peu à Nantes un grand débat sur la construction de Tours de grande hauteur et il y a fort à parier que la controverse occupera les colonnes de la presse locale d’ici quelques mois. Déjà on voit apparaître dans telle ou telle interview d’élu ou de dirigeant local “la“ grande question : êtes-vous pour ou contre les Tours ? L’interwievé tombe généralement dans le panneau et répond par oui ou non, au lieu de parler du fond, c’est-à-dire de la qualité de l’urbain et surtout de l’intérêt de ceux qui y vivent. L’interrogation concerne évidemment l’Ile de Nantes, sorte de territoire autonome parfois rebaptisé « Chemetofstan » par les mauvaises langues et où se concentrent toutes les grandes questions urbaines de la planète.
C’est un débat branché puisqu’il offre l’occasion aux Nantais de regarder de haut leurs cousins de la campagne en leur expliquant doctement que, eux aussi, comme à Paris, ils se posent des questions sur la « verticalité dans l’urbanisme »… Les grands discours se peaufinent sur les « gestes forts » (expression souvent employée pour désigner un dérapage plus ou moins contrôlé), sur la mixité (vieille chimère bien utile) et évidemment sur le développement durable puisque selon l’opinion, la Tour sera —sans mauvais jeu de mots— tour à tour l’exemple même d’un économe renouvellement de la ville sur elle-même ou au contraire le symbole honni de la construction gaspilleuse des années 70.
Avec un vrai débat de grande ville, Nantes sera ainsi sous les feux de l’actualité et la presse nationale mandatera ses envoyés spéciaux, dont la visite excède rarement quelques heures avec un programme de style « Intourist » (dans sa version ancienne), pour livrer des analyses profondes sur le renouvellement de l’urbanisme dans nos belles provinces.
Le plus curieux, c’est que ce genre de débat a parfois un effet secondaire : il rend aveugle ! Nantes a déjà une Tour, elle est même au beau milieu de la Ville. Le « geste fort » est déjà là, mais personne ne s’y intéresse. Mieux, la Tour qui porte le nom de Bretagne (vieux problème de nature psychanalytique pour les nantais) est même parfois dénigrée par ceux-là même qui voudraient en construire d’autres ailleurs. Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas la raser, comme le Tripode ?
Et pourtant, avec un pied et une tête refaites, la Tour Bretagne aurait une certaine allure. Une réflexion sur ses fonctions et sur ses abords pourrait même apporter quelques réponses aux questions de la centralité. C’est une aubaine pour les jeunes urbanistes, mais ils ont le regard tourné vers d’autres horizons, qu’ils croient plus prometteurs. Dommage pour eux… Derrière le visage de la modernité, leurs aînés ne camouflent souvent rien d’autre qu’un épuisement de la pensée.