Paru dans la Tribune Libre #17
octobre 2007
La langue technico-politique a une grande capacité de recyclage des mots. Elle fabrique à foison des expressions aussi imagées qu’incompréhensibles par le commun des mortels. En voici deux exemples, parmi d’autres…
Changer de logiciel ?
L’expression fait florès un peu partout et notamment dans les organisations politiques. Un tic de langage pseudo-moderne gagne l’ensemble de la sphère dite des « décideurs ». Quand les difficultés surgissent, il suffit de « changer de logiciel », un peu comme s’il suffisait à l’écrivain en panne d’inspiration d’acquérir un nouveau traitement de texte.
Ceux qui emploient ce mot sont, bien souvent, assez peu familiers de la pratique des outils informatiques mais ils trouvent l’expression assez « tendance ». S’ils connaissaient mieux les technologies de l’information, ils sauraient que le logiciel est un outil, sans plus.
En ce sens, il n’est que le produit d’une pensée, d’une réflexion, d’un travail préalables. Les organisations politiques ont besoin d’abord de penser, c’est ce qu’on attend d’elles. Les outils ne viennent qu’après. Penser est la marque de la nature humaine, mais il semble que les grandes Ecoles fréquentées par nos élites y accordent peu d’importance. On peut avoir la plus belle boite à outils du monde, l’important c’est : pour en faire quoi ?
La mobilité durable ?
Déclinaison du développement du même nom, l’expression illustre la méthode qui consiste à ajouter l’adjectif durable à n’importe quel substantif pour lui conférer aussitôt un caractère respectable. On constate parfois un phénomène similaire avec les adjectifs « citoyen » et « républicain ». Le must est évidemment le discours politique qui, quel que soit le sujet traité, se termine immanquablement par la désormais célèbre formule : » et tout ça, bien sur, dans une optique de développement durable… »
Dans ce cas précis, il s’agit en fait de déplacements (mobilité c’est plus chic !) autres que la voiture particulière : bus, vélo, marche à pied et éventuellement automobile à condition qu’elle soit partagée.
Bref, on veut parler de modes de déplacements non polluants, ce qui est évidemment une expression beaucoup trop simple… parce que trop précise.
L’avantage du durable c’est que, comme la pomme de terre, il s’accommode à toutes les sauces. On peut parler ainsi de « route durable » (les grands groupes du secteur ont déjà compris l’astuce) et la voiture « durable » ne va sans doute pas tarder.