Note de lecture proposée par Jacques CROCHET
Tribune Libre #56, sept-oct 2014
Commande du Président de la République à Jean Pisani-Ferry, Commissaire Général à la Stratégie et à la Prospective, cet ouvrage n’est pas le premier à recenser des réflexions et propositions de réformes pour l’avenir de la France.
Il peut même être reçu avec un certain scepticisme :
- Pourquoi réfléchir à 10 ans, dans un environnement d’incertitudes géopolitiques, alors que l’avenir des politiques est essentiellement sur le court terme ?
- Quel accueil réserver à un nouveau document qui vient s’ajouter à tant d’autres tels le rapport Attali le rapport Gallois…. ?
- Jean Pisani-Ferry sera-t-il assez écouté pour que de véritables projets structurants prennent corps ?
Fondateur de l’Institut BRUEGEL, Think Tank créé en 2004, Professeur à Paris Dauphine, Jean Pisani-Ferry regrette que, dans la société française, la culture du débat n’ait pas la place qu’elle mérite.
Les équipes du Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective ont questionné les partenaires sociaux, les Think Tanks, les associations, recueilli des propositions, analysé des initiatives, échangé avec des experts de tout bord.
Ce document n’est donc pas le résultat d’un travail en chambre, réalisé par des spécialistes.
Il traite de questions institutionnelles, d’enjeux de société, de politiques économiques, sociales ou environnementales, en France et en Europe.
Une aggravation ?
Son constat est cruel! Sans réformes profondes, la situation actuelle de notre pays se sera aggravée dans 10 ans :
- Croissance faible ou nulle / Emploi rare / Biens essentiels plus chers,
- Inégalités aggravées / Pays divisé,
- Modèle social français à bout de souffle,
- Dette publique à un niveau insoutenable,
- Union Européenne toujours aussi impuissante à assurer la prospérité des pays la composant.
Mais selon lui, cette vision largement répandue n’est pas inéluctable. D’autres pays ont su se réformer et rétablir leur situation dans des délais similaires.
« Encore faut-il que nous souhaitions redevenir une référence !! […] prouver que les réformes que l’on conduit sont les mieux à même d’assurer la prospérité du pays et le bien être de ses citoyens ».
« L’objectif est d’équilibrer le mieux les impératifs économiques, les exigences environnementales et les priorités sociales ».
Or, « Il faut reconnaître que depuis 25 ans, les efforts des gouvernements successifs ont manqué d’ampleur, de cohérence et de continuité ».
Quel projet ?
Pour engager les mutations nécessaires, il estime indispensable de rassembler la collectivité nationale autour d’un projet de réformes clair et courageux.
Le premier objectif affiché est de rénover les institutions politiques de notre pays, et clarifier les responsabilités des différents acteurs publics.
Jean Pisani-Ferry n’adhère pas à l’idée généralement répandue, que la France doit faire le choix entre faire prospérer son économie et préserver son modèle social.
Les efforts les plus urgents doivent se porter sur le terrain économique où nos résultats ont décroché de ceux des pays comparables au nôtre.
« Il s’agit de reconstruire une économie qui offre aux hommes et femmes de ce pays, en particulier les jeunes, un emploi et des opportunités à la mesure de leurs talents et de leurs compétences. »
Améliorer le modèle social
Il lui paraît possible de réduire la dépense publique sans casser le modèle social : Améliorer l’efficacité de notre système social (en particulier l’enseignement scolaire, la santé, les retraites), et opérer une substitution progressive entre dépenses publiques et privées. Le rapport coût-efficacité de cette dépense publique peut être sensiblement amélioré sans sacrifier la qualité de notre protection sociale.
L’Europe doit jouer pour lui un rôle essentiel dans notre stratégie de redressement (innovation, croissance, environnement, domaine social). Encore faut-il que sa gouvernance se transforme.
Agir sans délai
L’ensemble des initiatives proposées dans le rapport doivent être séquencées, ne pouvant être prises simultanément. Ces mesures ont des délais d’action différents. Certaines sont politiquement acceptables rapidement, et ont la capacité à créer de la confiance. D’autres ont un caractère générique, et vont provoquer un effet d’entraînement et les conditions du succès dans d’autres domaines.
Les mesures à longue portée doivent être prises rapidement, leur impact mesurable étant assez lointain (enseignement, infrastructures). Rappelons à ce sujet la réforme de l’organisation territoriale. Elle vise à créer les conditions d’une plus grande lisibilité démocratique, d’une plus grande responsabilité des différentes collectivités, et d’une plus grande efficacité de l’action publique. Mais elle ne peut avoir d’effets économiques marquants avant 10 ans. Il faut donc l’entreprendre sans délais.
En conclusion : « Se projeter dans 10 ans, ce n’est pas spéculer sur l’inconnu ! C’est mesurer les incertitudes, estimer l’ampleur des changements à venir, et se donner les moyens de résoudre des problèmes qui paraissent aujourd’hui insolubles! C’est envisager l’avenir comme un investissement, pour lequel un effort prolongé est nécessaire, et les moyens alloués à la hauteur des enjeux. C’est se donner le temps des transitions en réunissant des consensus. »
Voilà un ouvrage sérieux, documenté, un constat sans fard, mais des propositions innovantes, et qui explore toutes les pistes utiles pour espérer dans l’avenir.
Le mérite principal de l’auteur est sans doute de vouloir redonner aux Français, sans illusions sur l’état actuel de leur pays, le goût des lendemains.