Conférence débat du jeudi 28 mai 2015, Insula Café
Directrice de recherche au CNRS, Anne-Marie Thiesse est l’auteure de nombreux ouvrages de référence sur les identités nationales, dont le dernier en date est « Faire les Français » (éditions Stock, 2010). Face à une assemblée d’une quarantaine de membres de l’Institut Kervégan, réunis fin mai sur l’île de Nantes, elle a porté son regard affûté sur cette Europe à l’identité encore « en construction ».
« Le commande graphique pour la création des billets en euros, était de dessiner des monuments qui… n’existent pas », en une phrase la chercheure Anne-Marie Thiesse résume tout le paradoxe de l’Europe moderne : réalité concrète mais utopie en devenir. Car l’Union européenne est une construction (très) récente en définitive, ses balbutiements datent du Traité de Rome en 1957 quand le choix des symboles – drapeau, hymne, fête, logos, devise puis monnaie – a été amorcé dans les années 1980.
Tout le contraire des cultures nationales, qui bien qu’également très contemporaines (voir vidéo ci-dessous et cet article publié sur Le Taurillon), ont bénéficié depuis le XIXe siècle d’une charge symbolique considérable, d’ancêtres fondateurs magnifiés aux paysages emblématiques, couplée à un idéal moderne de frontières culturelle et politique concordantes.
L’Europe, elle, n’a ni frontières ni peuple défini (à ce jour), « au départ, c’est simplement un petit groupe de pays, plutôt atlantistes, pratiquant l’économie sociale de marché », explique avec malice Anne-Marie Thiesse. Soixante ans plus tard, c’est une fédération d’États-nations, certes unique au monde, mais toujours à la recherche d’une histoire partagée : racines chrétiennes, héritage gréco-latin ou esprit des Lumières ?
La tolérance en étendard ?
Un terreau commun démocrate et humaniste, né sur les cendres des deux guerres mondiales, semble tout de même s’implanter selon la directrice de recherche au CNRS, « il faut rappeler qu’il s’agit du continent le plus avancé en matière de tolérance et de droits humains ». Dans la salle, un participant objecte « qu’il y a une commémoration guerrière par semaine [sur le Vieux Continent], truffé de références à une époque belliqueuse ».
Anne-Marie Thiesse répond qu’il s’agit « d’un discours sur les victimes » plutôt que sur les exploits militaires passés et supposés. Et de rappeler dans la foulée que les institutions de l’UE use et abuse désormais de la puissance douce (soft power), du programme Erasmus+ à la désignation annuelle d’une Capitale européenne de la culture.
L’auteure de « Faire les Français » préfère souligner « [que] les élections européennes se jouent toujours sur la défense d’intérêts nationaux et non sur des lignes politiques », alors que l’euroscepticisme progresse nettement chez les citoyens, notamment des pays du sud de l’Europe.
Par Thibault Dumas, journaliste.